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Bienvenue dans l’Opencourseware « Bible et humanités numériques » de l’Université catholique de Louvain (Belgique). Avec l’appui du Professeur Régis Burnet, référent académique, ce cours en ligne a été créé grâce à un subside 2023 du projet Université numérique de l’UCLouvain, en partenariat avec deux chercheuses du SIB Institut Suisse de Bioinformatique, Claire Clivaz et Elisa Nury. Elles en ont rédigé et construit le contenu, en français et en anglais. Ce cours s’adresse à toute personne intéressée, de l’étudiant à la chercheuse confirmée. Il vous permettra de découvrir les humanités numériques en lien à la Bible, et met à votre disposition des références pour aller plus loin.

1. Présentation de l’Opencourseware

Cet Opencourseware est composé de cinq modules. Désirez-vous savoir d’où vient ce nom d’« humanités numériques » et quel rôle le domaine biblique a joué dans cette naissance ? C’est ce premier module d’introduction qui vous guidera dans cette thématique, après la présentation générale du cours.
Désirez-vous pouvoir explorer par vous-mêmes les manuscrits qui se tiennent derrière votre péricope préférée du Nouveau Testament, et vous immerger dans les problématiques de l’édition numérique de ce corpus ? C’est le second module qui sera votre objet de prédilection.
Si vous êtes dans les starting blocs pour encoder votre premier passage biblique, apocryphe ou patristique, c’est le troisième module qui vous initiera à la thématique de l’encodage électronique, en TEI/XML ou HTML.
Si vous aimez la réflexion fondamentale et vous interrogez sur le devenir du statut des Écritures dans la culture numérique, choisissez sans hésiter le quatrième module. En 2017 a paru la première monographie consacrée à ce thème, sous la plume de Jeffrey S. Siker, intitulée Liquid Scriptures : le ton est donné.
Enfin, si vous avez à cœur de comprendre l’évolution de la transmission des textes bibliques dans la culture numérique où se marient le texte, l’image et le son, c’est le cinquième module qui vous en livrera quelques clés. Il est à souligner que cet Opencourseware présente les sujets de prédilection des deux auteurs en lien au corpus biblique, et ne prétend pas couvrir tous les grands thèmes des humanités numériques. Gageons qu’il saura vous donner l’envie d’en découvrir plus !
Cet enseignement se présente sous la forme d’eTalks. Si vous souhaitez découvrir comment fonctionne un eTalk, vous pouvez regarder une brève vidéo via le lien en bas de votre écran. Vous pouvez également consulter une série d’eTalks sur le dernier chapitre de l’Évangile de Marc, ou vous référer au code de l’application disponible en source ouverte sur GitHub. L’eTalk est entièrement citable en détail par l’url liée à chaque partie ; à la fin de chaque eTalk, vous trouverez la bibliographie citée qui vous permettra d’aller plus loin.
Toutes les données de ces eTalks – textes, images et audios – sont en libre accès, en licence CC BY-SA, sur le répertoire de données ouvertes Nakala (CNRS, Huma-Num). Ce projet est porté par la conviction que la science ouverte est l’un des principaux moteurs du futur de la recherche fondamentale et de l’enseignement académique.

2. L’émergence des humanités dites « numériques »

Ce n’est qu’au début du 21e siècle qu’apparaît l’expression digital humanities, d’abord dans les débats académiques, puis dans le titre de la première version du Companion to Digital Humanities publié en 2004. On traduit cette expression en français tantôt par « humanités numériques », tantôt par « humanités digitales », prenant acte qu’elle nous vient d’ailleurs. Mais avant cette création linguistique récente, les sciences humaines ont rencontré et apprivoisé peu à peu l’informatique sous un label indiquant le face-à-face durant presque deux générations : humanities and computing, les sciences humaines et l’informatique.
De manière emblématique, l’un des plus anciens départements d’humanités numériques – au King’s College de Londres, dont les prémices remontent aux années septante – s’est d’abord intitulé Center for the Computing in the Humanities à sa création en 1992, pour être rebaptisé Department of Digital Humanities en 2011. La rencontre fructueuse et variée des sciences humaines et de l’informatique a donc commencé sous un double nom, ou plutôt avec un nom qui a évolué au cours de la première décennie de notre siècle. Voyons cela de plus près.
Les sciences humaines ont eu besoin de temps pour réaliser ce que signifie leur union avec l’informatique. La première génération a plutôt considéré que l’ordinateur était une sorte de super-machine à écrire, juste plus rapide, plus performante. C’est le positionnement qu’adopte le grand spécialiste des manuscrits latins, Bonifatius Fischer, qui écrit déjà en 1970 un article pour interroger le rôle possible de l’ordinateur dans l’exégèse et estimait clairement que l’ordinateur ne pouvait pas comprendre et encore moins interpréter (p. 299-300). Fischer concède toutefois qu’il est un domaine « où l’ordinateur est de très grande importance pour l’étudiant du Nouveau Testament, dans lequel il ouvre en effet une nouvelle dimension et rend possible ce dont le chercheur n’aurait pas même osé rêver jusque-là : celui de la critique textuelle » (p. 304). Nous verrons en effet dans le second module à quel point l’approche des manuscrits du Nouveau Testament est aujourd’hui transformée par l’informatique.
Kurt Aland, éditeur du Nouveau Testament en Grec, avait également pressenti que l’ordinateur allait être sollicité dans la mise en ordre des variantes de la nouvelle édition critique du Nouveau Testament. La même année que Fischer, en 1970, il souligne toutefois que « ce n’est rien de plus qu’un outil. Il ne sait faire que ce qu’on lui donne comme tâche à accomplir. […] L’introduction de l’ordinateur ne signifie absolument pas la mécanisation de la critique textuelle du Nouveau Testament, et ne fait que lui venir en aide » (p. 175-176). Si Fischer et Aland se sont montrés curieux de l’ordinateur, avant bien d’autres chercheurs, ils étaient toutefois convaincus en 1970 qu’aucune transformation épistémologique ou heuristique fondamentale n’allait intervenir avec cet outil.
Représentatifs de la majorité des chercheurs en sciences humaines du siècle dernier, ces deux auteurs nous aident à comprendre pourquoi pendant presque deux générations, on a préféré désigner l’interdisciplinarité entre sciences humaines et informatiques comme un face-à-face, plutôt que de transformer le nom des sciences humaines en humanités, numériques. Cette prise de conscience aura nécessité soixante ans pour se concrétiser dans le domaine biblique : si le premier outil informatique biblique est publié par le révérend John W. Ellison en 1957, la première monographie qui analyse la transformation numérique du texte biblique verra le jour soixante ans plus tard seulement, en 2017 sous la plume de Siker. Le quatrième module réfléchira aux implications épistémologiques de cette transformation et aux raisons possibles d’un tel décalage temporel entre le premier outil et la réflexion sur l’influence de cet outil pour le domaine biblique.
Toujours est-il que la première décennie du 21ème siècle verra la requalification des sciences humaines en « humanités numériques ». Comme l’a noté en précurseur en 2012 le chercheur français Aurélien Berra, les racines de l’expression « faire ses humanités » se trouvent dans l’humanisme de la Renaissance : « en passant de humanities à ‘humanités’, on ne désigne évidemment pas la même chose : les découpages disciplinaires sont différents. Selon les catégories du CNRS, les humanités correspondraient aux sciences humaines et sociales, c’est-à-dire un ensemble assez large qui ne se superpose pas avec ce qui existe dans d’autres traditions culturelles, universitaires et scolaires. On s’éloigne ainsi de la référence des disciplines établies, pour nommer un phénomène complexe » (§3).
Onze ans plus tard, force est de constater que les infrastructures de recherche européennes vont dans le sens discerné par Berra : sciences humaines et sciences sociales se sont donné un visage commun dans l’association SSHOC, née ce printemps 2023, après avoir conduit un projet du même nom.
Loin des grandes manœuvres des institutions et infrastructures de recherche, on a dans les années 2010 beaucoup discuté en francophonie des mérites comparés des humanités « numériques », ou « digitales », en traduisant digital humanities (voir Clivaz, 2017). Fallait-il conserver le référent anglais du nombre, de la sphère informatique, et valider « humanités numériques » ? Ou alors accepter le plus hybride « humanités digitales » pour inclure le doigt et la chair ?
C’est pour la signification incarnée que plaident Franck Cormerais et Jacques-Antoine Gilbert : « cette ambivalence de la charnalité et du calcul, nous la revendiquons comme l’expression la plus adéquate de la tension qui traverse la totalité des études digitales. Celles-ci ne sont en effet réductibles ni au code ni aux disciplines qui constituent le domaine des sciences humaines » (p. 14).
Notre position personnelle est de considérer que l’adjectif qui requalifie les humanités, numériques ou digitales, devrait à terme tomber, lorsque précisément ces humanités auront été digitalisées, un phénomène inéluctable ou souhaitable, suivant le regard de chacun et de chacune. C’est ce qui est arrivé au nom même de l’ordinateur, même si nous l’avons oublié : au sortir de l’analogique, l’ordinateur numérisé a brièvement été nommé digital computer, « ordinateur numérique », avant que ne s’estompe l’adjectif, devenu redondant par évidence (Clivaz, 2019, p. 60).
On pourra alors se rappeler qu’à la Renaissance, le terme d’humanités au pluriel pouvait lui-même désigner le corps ou la nature humaine, comme dans cet exemple de Rabelais : « Pourquoy plus toust ne transportons nous nos humanitez en belle cuisine de Dieu ? ». La culture informatique, en digitalisant notre savoir, nous a donc rendu le terme pluriel d’humanités, corps inclus, et ce faisant signale sans doute une reconfiguration du savoir. Les biblistes et les théologiens entrent dans cette réflexion par le domaine qui est le leur, et cela tombe bien, car Bible et théologie ont eu dès le départ un rôle clé dans l’avènement des humanités numériques, comme le présente la dernière partie de ce module.

3. La Bible et la théologie au berceau des humanités numériques

Si vous lisez la préface de la première édition du Companion to Digital Humanities, évoqué ci-dessus, vous y trouverez un texte de Roberto Busa, Père Jésuite italien, reconnu comme l’une des figures fondatrices des humanités numériques. Alors qu’il avait déjà 91 ans en 2004 – et décédera à l’été 2011 –, Busa n’a pas perdu une miette de son enthousiasme pour ce qu’il a contribué à lancer, et s’exclame dans cette préface : « Digitus Dei est hic ! The finger of God is here ! », le « doigt de Dieu est ici » !

Un tel enthousiasme pour l’informatique n’est pas le signal exclusif de la fonction religieuse de Busa. Dans les années cinquante, l’ordinateur est de manière générale un haut lieu d’estime et d’aspirations ambitieuses. Il reste toujours surprenant de lire la manière dont en 1955, Jacques Perret, fin latiniste de la Sorbonne, explique son choix d’ordinateur pour traduire computer au président d’IBM : « Cher Monsieur, que diriez-vous d’ordinateur ? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. Un mot de ce genre a l’avantage de donner aisément un verbe, ordiner, un nom d’action, ordination. L’inconvénient est qu’ordination désigne une cérémonie religieuse ; mais les deux champs de signification (religion et comptabilité) sont si éloignés et la cérémonie d’ordination connue, je crois, de si peu de personnes que l’inconvénient est peut-être mineur ». Éloignés ou non, ordinateur et ordiner furent dès lors liés par Jacques Perret. On ne peut qu’appeler de ses vœux une recherche approfondie sur les usages du vocabulaire religieux dans le monde numérique, à commencer par le cloud, cette nuée dont le nom même nous fait oublier l’hyper-matérialisation du numérique, ses câbles et son carbone, pour tourner indûment nos regards vers d’éventuels nuages.
On fixe d’ordinaire le démarrage du face-à-face entre sciences humaines et informatiques à la visite emblématique faite en 1949 par Roberto Busa au président d’IBM, qualifiée par Domenico Fiormonte de « fondation de la discipline des Humanities and Computing » (p. 30).
Mais en 2016, Steven E. Jones a livré une enquête riche et pondérée du rôle de Busa qui souligne que « dans les intérêts d’IBM en 1949-1952, se trouvait certainement incluse l’attention aux relations diplomatiques avec le Vatican, l’Italie et l’Europe dans la période d’après-guerre, comme un tout pour l’avancée de la World Trade Corporation » (p. 97). Ce contexte d’intérêts commerciaux et politiques entremêlés n’échappera pas à Roberto Busa, qui dans une lettre privée de 1960, se demandera si la coopération entre un homme d’affaires et un prêtre est bénie de Dieu, et conclura que oui (Jones, p. 97) !
Toujours est-il que grâce à la curiosité intellectuelle de Busa, le premier outil d’humanités numériques fut créé dans l’après-guerre et se trouve toujours en ligne, mis à jour bien sûr : l’index de la Somme théologique de Thomas d’Aquin, l’Index Thomisticus. Le savoir millénaire des sciences humaines est entré en contact avec la matérialité numérique via ce texte. Si Busa travaillera également sur les rouleaux de la mer Morte, il ne se lancera toutefois jamais à lier le texte biblique lui-même à l’informatique. C’est un protestant qui fera le premier outil informatique pour la Bible : en 1957, John W. Ellison publie une concordance biblique avec l’outil d’IBM UNIVAC, enregistré encore sur bandes magnétiques (Jones, p. 100), comme nous l’avons vu dans la partie 2.
Puis c’est en 1966 qu’est publiée une première liste d’œuvres littéraires électroniques, Literary Works in Machine-Readable Form. Computers and the Humanities, selon le titre de l’article de Gustav Carlson qui la décrit en 1967. Il faut relever, à cette époque également, l’émergence du projet belge Bible informatique de l’Abbaye de Maredsous (1965), sous l’égide du Père Réginald-Ferdinand Poswick, est toujours en ligne aujourd’hui, répertoriée à juste titre comme «Fonds Informatique Pionnière en Belgique».
A noter également parmi les tous premiers projets numériques francophones sur la Bible, la Biblia patristica qui est devenue cet outil apprécié des chercheurs, BiblIndex à Lyon.
Avec Busa, Ellison, et ces travaux francophones, nous voyons que la Bible et la théologie ont dès le départ joué un rôle important dans l’approche informatique des sciences humaines. Mais pour dépasser la perception d’un usage essentiellement mécanique de cette informatique, et voir émerger les réflexions sur la transformation du domaine biblique par le numérique, il faudra attendre la seconde décennie du 21e siècle. Le module 4 présentera les résultats de ces réflexions récentes, après que les modules 2 et 3 auront donné deux aperçus du travail concret des humanités numériques, en critique textuelle et pour l’encodage électronique des textes.

Références bibliographiques

Et voici pour terminer les références bibliographiques citées dans ce module. Vous les trouverez également, téléchargeables, sur Nakala.