Bonjour. Comme annoncé je vais vous parler des rites et mythes autour de la mort en Égypte ancienne.
Avant cela, je souhaiterais dire quelques mots à propos du programme. Celui-ci sera découpé en quatre parties :
Comme vous pouvez le constater, l'introduction est formulée sous la forme de cette question: la mort est-elle une obsession en Égypte?
La réponse à cette question permettra de souligner quelques spécificités du contexte égyptien et des problèmes méthodologiques qu'elle soulève.
Nous aborderons ensuite le mythe osirien.
Vous aurez sans doute remarqué que j'associe le mythe au rite dans le titre de ma conférence.
Il faut dire qu'étudier les rites funéraires en Egypte sans évoquer le mythe osirien serait une véritable aberration, tant ce mythe offre des clés de lecture fondamentales pour comprendre les rites autour de la mort.
La troisième partie est consacrée aux rites funéraires en Egypte.
Ceux-ci étant trop nombreux pour que je les décrive dans un laps de temps aussi court, j’ai décidé de les mettre en lien avec différentes conceptions de la mort présentes en Egypte.
Nous verrons que ces différentes conceptions de la mort ne s'excluent pas, mais entretiennent des liens très forts entre elles.
Par ailleurs, lier "conceptions de la mort" et "rites" permet de mieux comprendre la fonction des rites funéraires et d'aller au-delà d'une présentation purement descriptive.
Enfin, je terminerai cet exposé par quelques remarques conclusives.
Pour tous ceux qui souhaiteraient approfondir cette thématique de la mort en Égypte, je les renvoie aux deux ouvrages de Jan Assmann que j'ai mis en bibliographie et dont je me suis largement inspirée pour cette conférence.
Introduction: la mort, une obsession égyptienne?
Toute personne qui a visité l'Égypte aura été frappée par le nombre considérable de monuments et de textes funéraires qu'on y rencontre sur les sites et dans les musées.
Les voyageurs antiques eux non plus n'ont pas manqué de relever ce trait de civilisation.
Ainsi Hecatée d'Abdère lors de son séjour en Egypte à la fin du IVe siècle avec notre ère décrit le rapport des Egyptiens à la mort de la façon suivante, je cite :
«Les indigènes attachent très peu de valeur au temps passé dans la vie terrestre tandis qu'ils attribuent la plus grande importance au temps après la mort, pendant lequel on reste préservé dans la mémoire à cause de la vertu.»
«Ils appellent les maisons des vivants des relais, parce que nous n'y passons que très peu de temps mais les tombes des morts, ils les appellent maisons éternelles puisqu'on passe l'éternité dans l'empire des morts. Alors ils se soucient très peu de l'équipement de leur maison, mais dépensent tous leurs moyens pour la construction et l'équipement de leurs tombes.»
Comment expliquer ce trait de civilisation ? Comment se fait-il que les Égyptiens, plus que tout autre peuple nous donnent cette impression, je paraphrase Hecatée d'Abdère,
d’avoir attaché très peu de valeur à la vie terrestre et avoir attaché autant d'importance à la mort et à l'espoir de survie?
J’aimerais examiner cette question avec vous sous trois angles:
Le premier a trait à l'architecture funéraire et fait écho à la constatation faite par Hécatée d'Abdère:
En Egypte, les monuments funéraires sont bâtis en pierre, tandis que les constructions des vivants sont principalement en briques crues.
Si ce fait confirme toute l'importance que les Egyptiens accordaient à la mort et aux questions d’outre-tombe, il crée aussi un biais dans la façon dont nous percevons, aujourd'hui, la civilisation égyptienne.
La disparition de la plupart des constructions des vivants - la brique crue étant beaucoup plus périssable que la pierre - donne, par contraste, l'impression que la civilisation égyptienne était entièrement tournée vers la mort et sa gestion, une impression de véritable obsession de la mort.
Outre le nombre considérable de monuments en lien avec la mort, le visiteur sera également frappé par la quantité non moins extraordinaire de textes funéraires.
Ceux-ci recouvrent les monuments eux-mêmes (tombes, sarcophages, stèles, temples funéraires, etc.), mais aussi les nombreux papyrus que nous a légués l'Egypte ancienne dont la plupart des exemplaires du fameux "Livre des morts".
Comment expliquer ce recours au texte? Pourquoi les Egyptiens, plus que toute autre civilisation, ont-ils consacré autant d'énergie à produire des écrits funéraires?
Pour comprendre ce phénomène, il est utile de se pencher sur les fonctions de l'écriture en Egypte ancienne. Au moins deux d'entre elles peuvent être mises en relation avec la mort.
La première fonction de l'écriture est, comme ailleurs, de servir d'appui à la mémoire: dans le contexte funéraire, l’écriture permet au mort de disposer de textes dont il aura besoin pour survivre dans l'au-delà.
C'est le cas par exemple du chapitre 125 du Livre des morts dont vous voyez un exemplaire ici.
Après avoir fait sa déclaration d'innocence devant le dieu Osiris, le défunt fait une seconde déclaration devant les 42 dieux présents dans la salle.
Chacun d'eux est interpellé par son nom et son lieu d'origine. Cette connaissance a des effets protecteurs sur le défunt qui déclare:
« Il ne m’arrivera pas de mal en ce pays, dans cette salle des deux Maât, car je connais les noms des dieux qui s’y trouvent ».
« Il ne m’arrivera pas de mal en ce pays, dans cette salle des deux Maât, car je connais les noms des dieux qui s’y trouvent ».
La connaissance des noms et des formules magiques permet au défunt d'échapper aux dangers de toutes sortes qui le menacent dans l'au-delà, telles qu’une errance dans des lieux hostiles, des attaques de bêtes dangereuses, la famine qui vous oblige de vous nourrir de vos excréments ou encore la décapitation par des génies-gardiens irascibles.
Il y a en effet tout un temps entre la mort et la glorification du défunt durant lequel ce dernier est exposé à une seconde mort, autrement dit à la mort définitive.
Durant cette phase, le défunt est dans l'obligation de se souvenir et les textes, en tant qu'aide-mémoire, lui sont évidemment d'un grand secours, tant les données à connaître et à utiliser dans l'au-delà sont nombreuses.
La seconde fonction de l'écriture est liée à son caractère performatif
L’idée est que l’on crée quelque chose par le simple fait de l'énoncer. On connaît l’exemple du verbe créateur, mais la performativité est aussi à l’œuvre lorsque un juge, au début d’un procès, dit : "j'ouvre la session" et que ces mots ouvrent effectivement la session.
On remarquera qu’en Egypte, la valeur performative est à liée à la parole prononcée.
Cependant elle se prolonge dans l’écriture, la notation écrite étant une façon de pérenniser cette performativité.
Ainsi, lorsqu'un prêtre récite une formule d'offrande du type: "Je te donne mille pains, mille pots de bière, etc.....", les mots prononcés et mis par écrit ont, pour les Egyptiens, une action effective.
A travers l'écriture - et la récitation permanente qu'elle garantit -, le défunt est assuré de bénéficier des rites funéraires pour l'éternité.
On comprend dès lors la raison d'être d'un nombre aussi considérable de textes funéraires: ceux-ci sont en effet le médium le plus important de la survie des défunts dans l'autre monde.
Il en va de même des images qui ornent objets et documents. N’oublions pas qu’en Egypte, l’écriture est parole mise en image et si la performativité est liée à la parole, elle est aussi liée à la chose représentée.
Ceci peut se déduire notamment des hiéroglyphes que l’on transperse de couteaux pour éliminer leur effet néfaste.
S’il fallait donc souligner une spécificité du monde funéraire égyptien c’est bien cette nécessité de disposer d'un nombre incalculable d’objets matériels.
La survie du défunt dans l’au-delà ne dépend pas d’un acte de foi ou de seules prières. Le dispositif matériel (avec bien sûr toutes ses dimensions symboliques) y joue un rôle déterminant et cela explique pourquoi l'Egypte nous a légués autant d’objets, de textes et de constructions funéraires.
Un dernier aspect que je souhaiterais évoquer avec vous dans cette introduction relève de ce que Jan Assmann nomme la thanatologie culturelle comparée, à savoir l'étude des formes dans lesquelles différentes cultures travaillent la mort.
Si la mort biologique est expérimentée partout et de tout temps, les réponses à celle-ci, on le sait et on est là pour s'en rendre compte, varient considérablement en fonction des cultures.
Or, pour en revenir à la civilisation égyptienne et à sa façon de traiter la mort, il est courant, dans la littérature spécialisée, de souligner l'extrême contraste qui existe, dans le Proche-Orient ancien, entre les conceptions et les pratiques égyptiennes et celles d'autres peuples, en particulier celles des Israélites et des Grecs.
Il me semble qu'il s'agit-là aussi d'un élément important à prendre en compte, à savoir: si la civilisation égyptienne nous semble obsédée par la mort c'est aussi par contraste avec les conceptions et pratiques d'autres peuples du Proche-Orient ancien.
Ce dernier point, comme les précédents, n'enlève évidemment rien au fait que les Egyptiens ont effectivement consacré une attention et des efforts considérables aux problèmes d'outre-tombe.
Mais d'une part, il ne s'agit-là que d'une façon de "traiter" la mort. Et d'autre part, il est nécessaire, pour bien comprendre cet effort, de le replacer dans son contexte archéologique et culturel.
Autre point qui me semble intéressant à retenir est le danger qui pourrait consister à s'enfermer dans des logiques d'opposition trop rigides entre les cultures.
L'exposé sur les rites funéraires dans l’Orient ancien et la Bible hébraïque a montré la diversité des pratiques funéraires dans le Proche Orient ancien et relativisé cette idée très répandue selon laquelle les auteurs bibliques ont rejeté globalement les rites funéraires.
Ceci dit - il faut bien l'avouer -, les oppositions de ce type sont souvent des leviers intéressants d'un point de vue pédagogique, puisqu'ils permettent de faire ressortir les spécificités des cultures que l'on étudie.
Le mythe osirien
Comme je l'ai dit, une étude des rites funéraires en Egypte passe inévitablement par une connaissance du mythe osirien.
A l'instar de nombreux récits mythologiques, le mythe osirien n'est jamais narré de façon suivie dans la tradition égyptienne.
Notre connaissance est ainsi fondée sur une masse considérable de textes religieux d'époques et de lieux très divers.
En ce qui concerne le dieu Osiris, on peut dire que l’on a de la chance : les textes regorgent d’allusions à son mythe.
Comme l'a encore noté récemment l'égyptologue britannique Mark Smith, Osiris est l'une des rares divinités égyptiennes dont on peut dresser une biographie.
Cela s'explique sans doute par le fait que cette divinité est proche des êtres humains, ayant connu la trahison et ayant expérimenté la mort.
Mais quel est ce récit de vie? Je vous le résume en quelques mots:
Ayant succédé à son père Geb, Osiris règne sur terre. Sa royauté trouve cependant une fin violente: son frère, Seth, l’assassine par jalousie.
Seth découpe ensuite le corps mort et jette les morceaux dans le Nil. Isis, sœur et épouse d'Osiris, se met en quête des morceaux de son frère que le courant du fleuve a dispersés dans toute l'Egypte.
Ceci fait, Anubis reconstitue le corps et crée ainsi la première momie.
Grâce à ses pouvoirs magiques, Isis ramène son époux à la vie et conçoit avec lui un fils posthume, le dieu Horus.
Pour protéger l'enfant de son oncle Seth, Isis le cache dans les marais du Delta où elle l'élève dans le secret jusqu'à l'âge adulte.
Le jour venu, Horus livre à son oncle une lutte sans merci pour venger son père et pour être reconnu comme son héritier légitime.
Après de très longues délibérations, le tribunal d'Héliopolis tranche en sa faveur: Horus monte sur le trône de son père tandis qu'Osiris, ayant abandonné la terre, règne sur le domaine souterrain des morts.
Conceptions de la mort et rites funéraires en Egypte ancienne
Ce mythe nous servira de guide pour aborder différentes conceptions de la mort en Egypte et les rites funéraires qui leur sont liés.
En effet, comme l'indique Jan Assmann, je cite:
« les textes ne parlent pas de l'état d'Osiris, mais bien des actions visant à remédier à cet état ».
Il s'agira donc à partir du mythe d'identifier les différentes étapes du rite d'embaumement.
Toujours dans le prolongement des travaux de Jan Assmann, nous nous intéresserons au mythe et aux rites, mais également aux différentes conceptions de la mort qui s'en dégagent ainsi qu'aux contre-images auxquelles la mort donne lieu.
En effet, l'une des hypothèses d'Assmann est que le monde de la religion funéraire égyptienne est aussi un anti-monde dans lequel sont produits non pas des images de la mort, mais des contre-images, des "expressions de sa négation et non de son affirmation".
Ainsi, à partir du mythe osirien, nous mettrons en évidence différentes conceptions de la mort ainsi que les moyens (rituels, iconographiques ou textuels) mis en oeuvre pour la combattre.
On l'a vu, le mythe osirien s'ouvre sur l'assassinat d'Osiris.
On remarquera que le dieu n'est pas seulement tué: il est démembré. La mort est ici présentée comme une dislocation.
Cette dislocation des membres du corps divin est une catastrophe. Elle déclenche toute une série d'actes qui ont tous pour objet le corps démembré du dieu.
L’embaumement en fait bien entendu partie et en constitue même un des moments essentiels.
Cette scène, peinte sur un sarcophage, présente l'embaumement d'Osiris par le dieu Anubis.
Accompagnant parfois Isis dans sa quête des membres osiriens, le dieu chacal Anubis est l’embaumeur par excellence, celui qui a fabriqué la première momie.
Si l’embaumement a joué un rôle primordial dans la survie d’Osiris, il n’est pas le seul. Pour que les forces vitales regagnent le dieu, des formules magiques doivent accompagner les différentes actions perpétrées sur le corps divin.
Et c’est en particulier Isis, la sœur-épouse d’Osiris, qui les prononce.
Comme souvent en Egypte, un rite est constitué d’actes et de paroles.
La prononciation des formules magiques par Isis a pour effet de restaurer les forces vitales du dieu.
Sur le plan humain, le rite principal qui a pour but d'animer la momie (de lui donner vie) est le rite intitulé « Ouverture de la bouche ».
Ce rite se déroule à l'entrée de la tombe, après le transport de la momie de la salle d'embaumement vers son lieu de repos.
Le prêtre-sem reconnaissable à sa peau de panthère tient le rôle du fils du mort, à l’imitation d’Horus fils d'Osiris.
La partie principale de ce rituel consiste en l'attouchement des 7 orifices du visage avec divers instruments rappelant que le rite avait à l’origine pour fonction l’animation de statues de culte.
Ces attouchements ont pour but de redonner au mort l'usage de ses sens, en particulier la capacité de respirer, de manger, de boire, d'entendre et surtout de parler.
Le rite s'achève sur une offrande alimentaire. Celle-ci représente un moment pivot : elle clôture la marche au tombeau et marque l'ouverture du culte funéraire qui va être régulièrement rendu au mort par l'offrande.
Les efforts déployés pour traiter la mort et ramener la vie ne se concentrent pas seulement sur le corps du défunt, mais aussi sur sa personne dans son entier.
Ces dimensions de l'être humain sont exprimées en Egypte par différents composants mêlant le corporel et le spirituel, tels le ba, le ka, l'akh, le coeur, l'ombre et le nom.
Je n'ai pas le temps d'entrer dans le détail de chacun de ces composants. Ce qu'il importe de noter, c'est que la mort correspond en Egypte à une dissociation de ces éléments.
Le but des rites funéraires est de faire en sorte que ces différents aspects de la personnalité humaine restent en relation.
Il en va ainsi du Ba, manifestation posthume du mort, dont il importe qu'il s'unisse régulièrement au corps pour garantir l'unité de la personne du défunt.
Parallèlement, le Ba a sa vie propre et c'est lui qui peut quitter la tombe pour rejoindre les lieux qu'il a appréciés: sa maison et, encore davantage, son jardin.
Si la mort correspond en Egypte à une dislocation physique et à une dissociation des différents composants de l’être humain, elle signifie aussi une séparation du mort d’avec la société humaine, en d’autres termes un «isolement social».
Comme le corps, la personne sociale du mort demande à être reconstituée. Ce devoir est traditionnellement dévolu au fils du défunt.
Dans le mythe, c’est Horus qui joue ce rôle. Il est celui qui replace son père à la tête des dieux et qui le réinvestit dans sa fonction royale.
Cette relation de dépendance du père envers le fils est aussi attestée chez les rois et dans la société en général. Elle s'exprime en particulier à travers la commémoration du nom du défunt.
Lisons cet extrait d'une très belle inscription du roi Séthi Ier gravée sur les parois d'une chapelle aménagée pour son père défunt:
« Je suis un fils qui honore celui qui l’a engendré,
Je n’ignore ni n’oublie sa condition.
Nombreux sont ceux qui s’en sont allés depuis le temps du dieu,
le lendemain leurs noms étaient oubliés. (…)
(…)
Je suis comme Horus au côté de celui qui l’a engendré,
commémorant le nom de celui qui l’a engendré,
(car) là où un nom est commémoré un million de fois,
on ne néglige pas leur condition (des morts).
Il est maintenant un dieu et parcourt le monde souterrain,
la lumière brille pour lui dans la place des ténèbres,
puisse-t-il dévoiler sa face et secouer sa poussière
quand le vent du nord souffle à son visage ».
La survie du père défunt dépend étroitement des actions du fils. Le père a besoin que son fils "prenne soin" de lui sur terre, en aménageant sa tombe, en pourvoyant au culte funéraire de son père et en entretenant la mémoire du mort.
Cette stèle montre, au deuxième registre, le défunt recevant des offrandes alimentaires de son fils.
Si le rôle d'officiant était traditionnellement tenu par le fils, ce dernier, on l'a vu, pouvait être déchargé de cette obligation par un prêtre.
La conception de la mort qui va être abordée à présent est celle de la mort comme ennemi.
Dans le mythe, elle correspond au meurtre d'Osiris par Seth et aux démêlés judiciaires auquel ce meurtre a donné lieu.
Dans le déroulement narratif, il y a donc l'étape de la reconstitution physique et spirituelle dans laquelle interviennent en particulier Anubis et Isis, celle de la reconstitution de la personne sociale par Horus, et enfin, celle du procès visant à départager Osiris et Seth ou Horus et Seth, Osiris étant souvent représenté par son fils dans les textes.
Comme le montre Jan Assmann (je cite),
« La mort n'apparaît pas comme un état, mais comme une personne, un meurtrier, et elle est dès lors traitée en ennemi que l'on affronte, traîne en justice et condamne ».
Sur le plan mythique c'est Seth qui incarne la mort, tandis qu'Osiris, la victime, incarne, lui, le mort auquel tout défunt va s'identifier.
L'issue du procès est connue: Osiris, le mort, est proclamé "juste de voix" et sera installé comme souverain de l'autre monde.
L'ordre est restitué, l'injustice de la mort est réparée. Le mort, il est vrai, ne ressuscite pas mais reste mort.
Cependant, il est réintégré dans l'ordre de la vie. Il regagne sa dignité et acquiert un état nouveau, celui d'un akh glorifié.
Au cours de l'histoire, le modèle mythique du procès aurait, selon Assmann, connu un renversement. Le mort n'y est plus présenté en plaignant, mais en accusé tenu de se justifier devant Osiris.
Il s'agit de la fameuse épreuve de la pesée du cœur. Si le cœur du défunt est plus lourd que la plume maât symbolisant la vérité et la justice, alors il est avalé par la grande dévoreuse; mais si la balance est en équilibre, alors le défunt triomphe de l'épreuve, il est déclaré "juste de voix" et intégré dans la suite du dieu.
C'est le cas de cette défunte qui lève les bras en signe de victoire.
Sur le plan rituel, l'épreuve de la pesée était peut-être jouée; en tous les cas, elle était abondamment évoquée durant la nuit qui précédait la procession conduisant le mort de l'atelier d'embaumement vers sa tombe dans le cadre d'un rituel appelé "veillées horaires" et dont le but était de protéger le mort d'une seconde attaque du dieu Seth.
Malgré la dimension morale que prit le jugement du mort dans le cours de l'histoire de l'Egypte, l'idée d'un procès contre le dieu Seth demeura bien présente, comme en témoignent les inscriptions et représentations des chapelles osiriennes des temples ptolémaïques et romains.
Jusqu'à présent nous avons traité de conceptions de la mort éminemment négatives.
La mort y est considérée comme une atteinte destructrice à la continuité de la vie.
Les rites qui l'accompagnent servent à reconstituer le défunt. Ils servent aussi à l'accompagner dans un au-delà lointain tout en lui rappelant qu'il doit rester accessible au culte et à l'amour de ses proches.
La conception que nous allons considérer ici est toute autre: il s'agit de la mort comme retour à l'origine.
Dans cette conception, le mort retourne à la mère originelle, la grande déesse du ciel.
Le mort est ici considéré non pas comme une imitation d'Osiris, mais comme une imitation du soleil qui, chaque soir, s'unit à sa mère pour être remis au monde le matin.
Contrairement à la conception de la mort comme ennemi, la mort est ici considérée comme inséparable de l'ordre naturel.
La déesse céleste accueille le défunt en elle pour assurer sa régénération éternelle.
Cette image de la mort est thématisée en particulier dans les représentations qui décorent la face intérieure du couvercle des sarcophages de Basse époque comme ici sur ce sarcophage de Djedhor.
On y voit Nout, la déesse céleste, qui s'étire au-dessus du mort pour l'envelopper de ses bras et le prendre en elle.
Comme on l'apprend par exemple de ce texte de Basse Epoque, le sarcophage promet au défunt une renaissance stellaire :
« Je te couche en moi, je te mets au monde pour la seconde fois ,
en sorte que tu ailles et que tu viennes parmi les étoiles impérissables,
que tu sois haut, vivant et rajeuni comme le soleil jour après jour.
(…) Je t’embrasse en mon nom de sarcophage,
je te donne le doux souffle du vent du Nord,
(…) ton existence est assurée pour l’éternité, Osiris N. »
Le sarcophage accueille ainsi en son sein le défunt pour assurer sa régénération éternelle.
Mais la déesse céleste, ce ventre maternel, se présente aussi sous d'autres formes dans le monde funéraire.
Elle est aussi la tombe, la nécropole, l'Occident, le royaume des morts, bref tous les espaces qui accueillent le défunt.
A l'image du soleil, le défunt y trouve source de renouvellement éternel.
La dernière conception de la mort que nous aborderons ici est celle de la mort comme mystère.
Cette conception est dans le prolongement à la fois des motifs solaire et osirien.
En effet, elle s'incarne dans l'union qui a lieu chaque nuit entre le dieu solaire Rê et Osiris.
Cette union est représentée dans une scène de la tombe de la reine Néfertari. Elle montre la momie d'un dieu à tête de bélier désigné sous le nom de Rê, entouré des déesses Isis et Nephtys qui la protègent.
La légende dit ceci à propos du dieu:
à gauche: "Osiris repose en Rê"; à droite "c'est Rê qui repose en Osiris".
Cette union passagère de Rê et Osiris, les textes du Nouvel Empire la décrivent comme étant un grand mystère, un secret, qui a lieu au plus profond du monde souterrain.
Selon Jan Assmann (je cite):
« le secret du dieu-soleil, tel qu'il nous apparaît présentement, est d'une part son corps reposant au fond du monde, d'autre part le processus de renouvellement par lequel il passe en s'unissant à cette dépouille et en évoluant vers une nouvelle naissance dans le ventre de la déesse maternelle et céleste ».
Sur le plan humain, ces conceptions se côtoient également. A l'instar du soleil, le défunt souhaite aussi bien se régénérer au sein de la déesse mère que de s'unir chaque nuit, en tant que ba, à son cadavre qui repose dans sa tombe.
Remarques conclusives
Il est à présent temps de conclure, et je le ferai en mettant en évidence trois points :
1. La plupart des conceptions de la mort que nous avons évoquées (dislocation, dissociation, isolement social, attaque ennemie) sont négatives.
2. Pour combattre ces conceptions, les Egyptiens ont créé ce que Jan Assmann appelle des contre-images.
3. Pour faire vivre ces contre-images, les Egyptiens ont recouru aux écrits et aux représentations figurées ainsi qu'à l'action rituelle.
De ces trois constats on arrive à la conclusion générale suivante: les rites funéraires ont pour but de combattre la mort que les égyptiens détestent.
Ainsi, s'il y a obsession de la mort en Egypte, c'est bien parce que cette mort est détestable et qu'il faut donc la traiter.
Elle est au centre de toutes les préoccupations car il s'agit d'en triompher.
Ce que les Égyptiens aiment par-dessus tout c'est bien sûr la vie, comme l'indique si bien l'appel aux vivants adressé à ceux qui visitent les tombes:
« Ô vous les vivants qui serez sur terre
Et qui entrerez dans cette tombe,
Vous qui aimez la vie et détestez la mort,
Vos dieux vous récompenseront
… si vous prononcez à mon profit la prière du repas funéraires ».