Introduction

Bonjour! Je m’appelle Vincent Mooser, je suis médecin de formation, je suis responsable du Département des Laboratoires du CHUV, et en même temps j’occupe la responsabilité du dicastère Recherche clinique comme vice-doyen de la faculté de biologie et de médecine à l’Université de Lausanne.
J’ai préparé cet eTalk pour décrire la biobanque institutionnelle de Lausanne, qui est un des projets-phares que nous menons actuellement à l’interface entre le CHUV et l’Université.
L’idée est la suivante : c’est qu’on assiste, grâce aux nouvelles technologies notamment, à une révolution médicale qui fait que vraisemblablement dans le futur, la façon dont on va diagnostiquer, traiter, prévenir les maladies va être radicalement différente de celle que nous pratiquons maintenant, qu’on pourrait appeler une médecine v2.0 si vous voulez.
Et les moteurs de ce changement sont certainement les dossiers médicaux – qui sont maintenant sous forme électronique, c’est ce qu’on voit en haut à gauche –, c’est les nouveaux moteurs de recherche comme Google, c’est la révolution génétique et génomique dont je vais vous parler un peu plus tout à l’heure, c’est les réseaux sociaux – notamment 23andMe, qui est une compagnie qui invite les gens à déposer leurs échantillons d’ADN pour les analyser –, c’est ce qu’on pourrait appeler Quantified Self, c’est-à-dire le fait qu’on peut maintenant mesurer des tas de choses, la tension artérielle en continu, le sommeil en continu, etc. ; et puis c’est naturellement les réseaux sociaux, facebook, twitter, etc.
Et le fait de pouvoir intégrer toutes ces données pourrait éventuellement changer la façon dont on va prendre en charge les maladies.
Je vous ai parlé de la génétique, c’est probablement le domaine qui, d’un point de vue médical et biologique pur, a suivi le plus grand développement.
J’aimerais vous montrer ici un article qui a été publié voilà 2 ans dans le 24Heures, c’est une machine à séquencer l’ADN, et ce qu’on voit, c’est qu’à l’époque, ils parlaient de la « révélation de Davos, une lueur d’espoir dans un océan de morosité : une machine miracle qui permet de décrypter le génome humain en quelques heures et pourrait révolutionner les soins ».
Et effectivement, ce genre de nouvelle technologie, c’est-à-dire le fait de pouvoir séquencer le génome d’un individu, permettrait de développer une médecine qui soit différente (médecine v2.0), et on parle des quatre « P » qui pourraient caractériser cette médecine du futur.
Le premier « P », c’est « P » pour « personnalisée ». La médecine sera plus personnalisée, on va intégrer dans la décision médicale les données personnelles du sujet, et adapter la prévention et le traitement en fonction de ces caractéristiques biologiques.
Le deuxième, « P » pour « prédictive ». On va être en mesure de mieux prédire qui va développer des maladies comme Alzheimer, ou comme certaines formes de cancers ; et puis – c’est le troisième « P », « préventive » – on va aussi pouvoir mettre en place, pour certaines de ces affections, un certain nombre de mesures qui permettraient d’éviter que la maladie pour laquelle les gens sont susceptibles survienne.
Pour y arriver, on a besoin dun grand collectif de patients, on a besoin de gens qui soient d’accord de mettre à disposition de la recherche leurs données génétiques, qui soient d’accord de participer à des essais cliniques ; et c’est pour ça que le quatrième « P » de cette médecine v2.0, c’est « participative ».
En fait, il ne faut pas se leurrer. Il existe un pas énorme à franchir entre les données (par exemple du Quantified Self, ou les données d’un Twitter, ou les données génétiques) et leur utilité clinique ; et les étapes pour y arriver sont illustrées sur cette diapositive.
Il faut d’abord analyser toutes ces données, convertir ces données en informations, mais l’information ne suffit pas ; encore faut-il les transformer en connaissances, et là encore les connaissances ne suffisent pas pour pouvoir vraiment rendre service à la société, aider les patients par la prise en charge de leur santé. Il faut convertir ces connaissances en utilité clinique, et il y a donc tout ici une hiérarchie qu’il s’agit de suivre pour pouvoir arriver à cette médecine 2.0 et réaliser le potentiel de cette médecine du futur.
Pour y arriver, on peut identifier une série d’étapes qui sont illustrées sur cette diapositive.
Comme je le disais tout à l’heure, il est important que, pour y arriver, on ait accès à des données de qualité, ces données peuvent (encore une fois) être soit des données issues des dossiers médicaux, ou des Twitter, ou des Facebook, mais elles sont aussi déduites des analyses qu’on pourra faire sur des échantillons biologiques, et c’est pour ça qu’il faut avoir accès aux échantillons biologiques d’un grand nombre d’individus, ces échantillons sont stockés dans des biobanques.

Qu'est-ce qu'une biobanque?

Une biobanque, c’est une collection structurée et organisée de matériel biologique récolté à des fins de recherche.
Les échantillons qui auront été biobanqués seront ensuite analysés, par exemple par séquençage génomique dont je vous ai parlé tout à l’heure, mais aussi par d’autres analyses comme métabolomiques, ou la protéomique, qui visent à étudier le spectre complet des petites molécules ou des protéines – dans un échantillon biologique, on parle de technologie « omic ».
Il faut aussi avoir accès à des infrastructures de computer (information technology, IT) qui soient très performantes pour pouvoir analyser ces données ; je prends un exemple : chaque individu, dans son génome, a trois milliards de paires de base, ce qui correspond à peu près à l’équivalent de 1000 bibles pour chacun de nos génomes.
Donc on se heurte à des défis IT qui sont considérables, et en même temps, il faut pouvoir analyser ces données à la lumière aussi de l’information biologique, c’est pour ça qu’on parle de bioinformatique (ici BIX).
Et c’est ces données et ces technologies qui vont permettre de générer des nouvelles connaissances, mais pour encore une fois convertir ces connaissances en utilité clinique, il faudrait effectuer des études cliniques et revenir, justement, chez l’homme, chez les participants de ces études.
Et c’est dans ce contexte-là justement que s’inscrit le programme de soutien à la recherche clinique que nous avons développé ici à Lausanne à l’interface entre le CHUV et l’Université, et le périmètre de notre activité est illustré sur ce carré noir.
Plus spécifiquement, nous avons donc décidé de construire une biobanque, qui s’appelle la biobanque institutionnelle du CHUV, et de recruter un grand nombre de participants pour participer à cette recherche clinique.

L'étude CoLaus

Nous avions déjà fait, il y a quelques années, un projet similaire qui s’appelait le projet CoLaus.
L’objectif principal de CoLaus était d’identifier les bases génétiques des affections cardio-vasculaires et métaboliques, dans le but de trouver des nouvelles cibles thérapeutiques.
À l’époque (le projet avait été lancé entre 2003 et 2006), nous avions recruté 6000 personnes adultes de la population lausannoise qui avaient fait don de leurs données cliniques et de leur matériel génétique qui a ensuite été analysé.
On a effectué des analyses qui s’appellent GWAS (genome wide association studies) où on a interrogé ce matériel génétique pour dériver pour chacun des participants un grand nombre de données génétiques qui ont ensuite été intégrées dans nos analyses.
Il s’agit pour nous donc d’une cohorte populationnelle et observationelle.
Mais l’idée, pour encore une fois anticiper cette médecine 2.0 et y contribuer de façon très active, c’était de construire une deuxième cohorte, une cohorte hospitalière : et c’est cette biobanque institutionnelle du CHUV qui nous sert non seulement pour l’observation, mais aussi comme cohorte interventionnelle, où on va demander aux participants s’ils sont d’accord de participer à des projets de recherche.

Initiatives parallèles

Dès qu’on a envie de construire une biobanque de cette nature, on se heurte à toute une série de défis qui sont listés sur cette diapositive.
L’accès aux patients, évidemment ; l’accès aux dossiers médicaux ; la protection des données, qui n’est pas une chose simple ; le stockage de grande masse de données ; les analyses de ces données ; des aspects éthiques, naturellement ; des aspects légaux ; et des aspects économiques.
Mais en même temps, sur l’arc lémanique, il y a toute une série de partenaires (voire même de l’autre côté de la Sarine) qui sont intéressés à participer à la construction de ce genre d’initiative.
Et nous avons naturellement, du côté lausannois, le CHUV et l’Université ainsi que l’EPFL, du côté Genève nous avons les HUG, les hôpitaux universitaires, l’Université de Genève et, comme je le mentionnais aussi, des hôpitaux universitaires de l’autre côté de la Sarine, notamment Zurich et Berne.
Et c’est dans ce contexte-là, et pour adresser ces défis, que nous avons lancé quatre initiatives ces deux dernières années, pour essayer encore une fois de mettre en place les outils qui nous permettront d’aborder cette médecine du futur.
Le premier, c’est cette biobanque institutionnelle dont je vous parlerai encore plus en détails tout à l’heure ; le deuxième c’est, sous l’instigation du ministre de la santé dans le canton de Vaud (Monsieur Maillard), la création d’un groupe d’experts sur la génomique ; le troisième, c’est un groupe qui effectue des recherches sur les aspects éthiques de cette biobanque ; et le quatrième, c’est un projet à l’interface avec l’EPFL et avec l’Université et le CHUV, sur la protection des données.

La Biobanque Institutionnelle du CHUV

J’aimerais maintenant vous donner plus d’informations sur cette biobanque.
L’idée est extrêmement simple : c’est qu’on demande à tous les patients qui sont hospitalisés au CHUV s’ils sont d’accord à ce qu’on utilise leurs données biologiques et leurs dossiers médicaux à des fins de recherche – c’est ce qu’on appelle le consentement général.
Les patients sont donc invités à signer ce consentement général après avoir été informés du projet, et après avoir eu l’occasion de poser leurs questions et d’obtenir une réponse de la part/par un groupe d’experts, de recruteurs qui ont été formés spécifiquement pour cette tâche.
Pour chacun des participants, nous récoltons les données cliniques – principalement les dossiers médicaux qui sont maintenant électronisés ici au CHUV – , nous récoltons 10 ml de sang (c’est l’équivalent d’une cuillère à soupe) dont nous allons extraire le plasma et l’ADN pour les analyses ultérieures.
Et nous avons aussi accès aux tissus, notamment lorsqu’il y a eu une biopsie ou des prélévements et qu’il reste une partie de ces tissus après que le diagnostic ait été posé.
Nous avons une brochure spécifique sur le consentement général, c’est une brochure qui a été construite avec un groupe d’experts, avec des avocats, avec des légistes, avec des éthiciens ; et il est parfaitement aligné avec la nouvelle loi sur la recherche sur l’être humain.
Le projet a aussi été avalisé et validé par la commission cantonale d’éthique en octobre 2012.
Nous avons créé un site internet où toutes les informations relatives à ce projet, mais aussi à la médecine génomique, sont décrits en français ; et nous avons commencé le recrutement de façon officielle le 7 janvier 2013.
Aujourd’hui, après 18 mois, nous avons recruté plus de 11'000 patients, et 76% des patients du CHUV qui sont invités à participer à ce projet y consentent.
C’est un taux qui est élevé, et qui montre aussi, un peu comme on l’avait vu déjà dans l’étude CoLaus, un intérêt considérable de la population lausannoise pour ce genre de projets en médecine génomique.

La BIL dans les médias

Le projet a été aussi très visible, notamment dans les médias – je vous montre ici un article qui est paru dans le 24Heures en septembre 2013.
Mais aussi de l’autre côté de la Sarine – je vous montre ici un article qui a été publié dans la NZZ, et le titre est assez intéressant, c’est qu’effectivement, chaque patient du CHUV est aujourd’hui un contributeur à la recherche, c’est-à-dire qu’il est invité à faire don de ses données et de ses échantillons biologiques pour la recherche biomédicale.
C’est un projet qui pour le moment est unique en Suisse, et à notre connaissance, nous n’avons pas de projet qui soit similaire, soit en Europe, soit dans le reste du monde.
C’est un projet aussi qui s’inscrit dans une perspective régionale – c’est-à-dire c’est pas seulement un projet lausannois, mais c’est un projet qui s’inscrit sur une trajectoire de l’arc lémanique, à l’interface avec l’Université de Genève, les HUG, l’EPFL, le SIB (c’est le Swiss Institute of Bioinformatics), et le CHUV, et l’Université.

Applications de la BIL

Quelles sont les applications que nous prévoyons pour cette biobanque ?
La première, c’est des études pour soutenir la recherche sur de nouveaux médicaments (j’en parlerai tout à l’heure) ; la deuxième, c’est des études pour soutenir la recherche sur des nouveaux marqueurs pour le diagnostic, le suivi et la prévention des maladies ; et la troisième c’est des projets de prévention de maladies, par exemple prévention du cancer comme le cancer du sein, ou les maladies cardiovasculaires.

Fabriquer un nouveau médicament

En fait, le développement de nouveaux médicaments obéit à une série d’étapes qui sont extrêmement complexes et qui sont bien structurées, qui partent depuis la décision « quelle maladie (ou « disease ») allons-nous essayer de prévenir ou de traiter ? » ; ça peut être par exemple les maladies cardiovasculaires, l’arthériosclérose et la maladie coronarienne.
Ensuite, il faut identifier une cible thérapeutique, c’est-à-dire décider quelle est la molécule (que ce soit une enzyme, un récepteur sur lequel on a envie d’agir de façon pharmacologique pour en modifier la fonction).
Il faut ensuite valider cette cible thérapeutique en générant des données, notamment chez l’homme ; et puis ensuite il y a tout un processus de chimie pour essayer d’identifier des molécules qui justement pourront affecter cette cible thérapeutique.
Ensuite il faut partir chez l’homme ; ensuite il faut tester, démontrer que cette molécule est efficace chez l’homme ; ensuite il faut faire des grandes études qu’on appelle « Phase II » ou « Phase III » sur des milliers de personnes ; et enfin, lorsque la molécule a démontré être efficace, a été approuvée par les autorités régulatrices comme la FDA ou l’EMEA, à ce moment-là, il faut s’assurer aussi que le suivi soit constant, notamment en termes de pharmacovigilance.
En fait, on compte qu’il faut entre 7 et 15 ans pour lancer un nouveau médicament, on estime à peu près les coûts à 1 milliard de dollars, et la probabilité de succès d’une molécule du moment où elle a été découverte au laboratoire jusqu’au moment où elle est sur l’échoppe d’un pharmacien, est extrêmement faible (on parle de 1 sur 1000 ou 1 sur 10'000).
Donc là, les données humaines que nous pourrons construire et apporter pourront aider à chacune de ces étapes.
Je prends ici une diapositive que j’ai empruntée au professeur Pierre Dayer qui est président de la Swiss Clinical Trial Organisation, et qui compare le développement d’un médicament (en bas) avec celui d’un avion.
Ce qu’il montre, c’est qu’en fait, la probabilité de succès d’un médicament est plus basse que cette d’un avion (ça c’est pas montré, mais c’est le cas), et le temps pour arriver sur le marché est encore plus long que pour un avion.

Utilisation de biobanque

Et en fait, ce que l’on sait, c’est que si l’on a accès à une biobanque de haute qualité, comme celle qu’on est en train de construire maintenant, on arrive à accélérer le processus et à augmenter la probabilité de succès pour le passage d’une étape à une autre. C’est donc une des utilisations de la biobanque qui est prévue.

Conclusion

Voilà ; j’aimerais conclure cette présentation en rappelant les quatre « P » de la médecine du futur (ou médecine 2.0 si vous voulez), sera une médecine qui sera prédictive, préventive, personnalisée et participative.
Que les les biobanques sont essentielles pour la recherche biomédicale et pour la mise en place de cette médecine du futur 2.0.
Que la biobanque institutionnelle de Lausanne a été dessinée spécifiquement dans ce but.
Que pour y arriver, on a construit une approche globale qui inclut le politique (avec le ministère de la santé du canton de Vaud), les sciences de l’information et les sciences sociales.
Et que cette biobanque devrait être complètement opérationnelle dès 2017.
J’aimerais finir par remercier (en jaune) les patients du CHUV qui ont accepté de participer à cette biobanque, l’équipe de la biobanque (sous la direction de la doctoresse Currat), et les rectorats de l’Université et la direction générale du CHUV, qui ont conjointement décidé de financer ce projet.
J’aimerais remercier aussi les participants de l’étude CoLaus, les docteurs Gérard Waeber et Peter Vollenweider ainsi que Martin Preisig pour la direction de l’équipe CoLaus, et le Fonds national, et une compagnie pharmaceutique appelée GSK, pour le financement, au départ, de CoLaus. Merci.
Documentation finale.