Rites contemporains II. Cérémonies humanistes, ou comment faire face à notre besoin de consolation ?

Julien Abegglen Verazzi - 28.08.2013

Introduction

Cérémonies humanistes, ou comment faire face à notre besoin de consolation ?
Cette présentation, donnée dans le cadre de la formation continue Unil/EPFL sur les rites funéraires dans l’histoire et la modernité, a pour but de présenter en quoi, au XXIe siècle, les cérémonies funéraires humanistes peuvent répondre à notre besoin de consolation lorsque nous sommes confrontés à la mort.
De par la nature même de ces cérémonies, et la diversité des célébrant-e-s, il me semble important de préciser d’emblée que je parle à titre personnel et ne représente aucun mouvement.

De l'importance des rites

Sans être un “van gennepien” convaincu, je souhaiterais néanmoins commencer cette présentation en citant Arnold Van Gennep :
“Vivre, c’est sans cesse se désagréger et se reconstituer, changer d’état et de forme, mourir et renaître.
C’est agir puis s’arrêter, attendre et se reposer, pour recommencer ensuite à agir mais autrement.
Et toujours ce sont de nouveaux seuils à franchir.” A.Van Gennep (1873-1957)
Et toujours ce sont de nouveaux seuils à franchir.” A.Van Gennep (1873-1957).
Depuis ses origines, en effet, notre humanité a évolué, nos sociétés se sont complexifiées, mais elle a toujours continué à marquer ces «nouveaux seuils à franchir».
Ainsi, indépendamment des cultures ou des religions, les êtres humains avons en commun le besoin de ritualiser les seuils de l’existence et de les partager avec nos semblables.

Du désenchantement

Or, la « modernité contemporaine », notamment celle occidentale et urbanisée dans laquelle nous vivons, traverse une crise que nous pourrions qualifier de « désenchantement », accompagnée d’une perte des repères (voire des valeurs) classique où les églises traditionnelles peinent à trouver leur place.
À l’aube de ce XXIe siècle, quelles sont donc les solutions que nous pouvons trouver face à la déritualisation de nos sociétés ?
D’un côté nous avons certains qui versent dans le fanatisme religieux de masse (dont l’actualité nous montre souvent de nombreux exemples) soit une augmentation des approches thérapeutiques individuelles de toutes sortes.

Ritualisation humaniste

Ainsi, la ritualisation des seuils importants se pose comme une alternative qui répond à notre besoin de créer du lien et de trouver du sens à notre existence.
D’un point de vue empirique, notre existence sur Terre est faite d’une succession d’étapes que les rites universels viennent marquer :
La naissance, les moments importants de la vie; le passage à l’âge adulte par exemple, une union, un mariage, un divorce, et enfin, la mort.
La ritualisation est certes culturelle et varie en fonction des pays et des croyances, mais elle fait en tout cas la différence entre le profane et le sacré (par le biais par exemple d’une cérémonie, le partage d’un repas, etc..).
De nos jours, il est donc plus difficile d’honorer la vie si les rituels «classiques» ne répondent pas aux besoins, donc l’être humain est dépourvu face à cette modernité déritualisée, dans un monde souvent très individualiste qui a partiellement perdu ce sens communautaire.
C’est là que les traditions humanistes peuvent proposer une alternative.
On désigne souvent par « humanisme » toute démarche qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des valeurs essentielles de l'être humain, même si il existe un éventail très large allant de « darwinistes » purs et durs à des courants incluant une vision très spirituelle de la vie, comme parfois la réincarnation.

Les seuils de l'existence

Quelle que soit donc l’approche, en termes symboliques, les recherches anthropologiques et sociologiques montrent bien que les rites comportent deux axes principaux :
Un aspect horizontal ou social qui relie l’individu à un collectif (par exemple, partager une fête avec nos proches renforce notre sentiment d’appartenance) mais également un aspect vertical ou temporel puisque chaque seuil, chaque passage nous rappelle les précédents.
En effet, chaque deuil ravivera les deuils vécus auparavant.
Sans vouloir faire des raccourcis abusifs, la ritualisation des transitions importantes de notre existence permet donc une forme de transcendance, car au-delà de la simple reconnaissance d’un vécu qui honore le moment présent (célébrer un anniversaire permet de reconnaître le passage des années) et donc de donner du sens à ce vécu, il y a comme une métamorphose de ce vécu-là.
Le besoin de rituels et de cérémonies constitue donc une des expressions fondamentales de notre humanité.

« Sonderfall »

C’est pour cela que les rituels funéraires ont une place à part :
À la lumière des points abordés précédemment, il faut bien comprendre que la mort au XXIe siècle occupe une place tout à fait à part et est une sorte de « Sonderfall » par rapport aux autres seuils de l’existence.
En effet, la plupart des gens meurent, donc à la différence des autres cérémonies de la vie souvent plus joviales (baptême, mariage, etc...) on ne peut pas, sans risques, faire l’économie des obsèques.
Jusqu’à présent, les différentes églises avaient donc une forme de « monopole » des obsèques, même pour celles et ceux qui ne paient pas leur impôt ecclésiastique, comme on l’a vu dans le cas du canton de Neuchâtel.
Mais qu’en est-il de tous les « laissés pour compte » qui ne se reconnaissent pas ou plus dans une institution classique (et parfois dogmatique) ?

Cérémonies humanistes

Les cérémonies humanistes, ou sur mesure, permettent donc d’honorer le défunt dans toute son humanité et sans jugement de valeur, de respecter le deuil des survivants et d’accompagner les proches à passer ce cap, souvent difficile.
La cérémonie funèbre permet de faire la différence entre un avant et un après.
Comme le dit Eric-Emmanuel Schmitt :
«Le rituel nous permet l’acceptation de ce qui se passe, pas l’occultation. […]
Il faut vivre ce moment de la disparition de l’autre.
D’abord, on le doit à l’autre, ce moment-là, et puis on se le doit à soi aussi […].
On a voulu – par ivresse, par présomption, par vanité – supprimer la mort de notre paysage, voire de la condition humaine.
C’est absolument faux. Il faut l’accepter, l’intégrer”.
Comme indiqué précédemment, il est bon de pouvoir offrir une alternative à l’individualisme qui sclérose parfois la société, en proposant une reconnaissance de la « singularité » de chacune et de chacun.
S’il y a une part de mise en scène (comme au théâtre, il faut tenir compte des rythmes, des interventions, des lectures, des silences, des musiques, etc.), il s’agit surtout de célébrer la Vie dans toute sa douce intensité (tout en reconnaissant qu’une personne n’est jamais parfaite, que chacun et chacune a des zones d’ombre et de lumière) et surtout de permettre cette séparation (par un moment de recueillement personnel par exemple, au cours de la cérémonie).
Or, dans cette recherche de « singularité » et donc de personnalisation de la cérémonie, on pourrait aisément imaginer qu’il y ait un foisonnement de possibilités donnant lieu à du « tout et n’importe quoi ».
Notamment face à l’absence de dogmes ou de liturgie canonique.

Fond & Forme

On retrouve néanmoins des éléments de base dans toutes ces différentes cérémonies, tant au niveau du fond que de la forme : d’abord, un espace délimité qui, le temps d’une cérémonie, devient « sacré » (que se soit par exemple dans une salle des pompes funèbres, une chapelle, un jardin privé, à l’extérieur simplement, ou même, comme cela m’est arrivé, dans un bar).
Il faut un cadre qui définit le déroulement d’une cérémonie (il y aura toujours un début, un milieu, et une fin);
Il faut également une communauté qui partage cet évènement et renforce le lien (ce qui permet ainsi une communion - sans le sens chrétien du terme, mais qui permet en tout cas de partager le deuil);
Ainsi qu’un ensemble de symboles (matériels ou pas) qui illustrent et rappellent la mémoire des défunts (que ce soit à travers des musiques, des textes, des objets personnels par exemple).
Enfin, le choix d’un-e célébrant-e étant à même de conduire cette cérémonie donne une forme de légitimité et permet de cadrer le tout (que se soit un célébrant humaniste, un proche, un officiant laïc ou même dans certains cas une personne religieuse).

Du rite au rituel

Il me semble donc pertinent de s’attarder plus longuement sur cette vocation de célébrant-e afin de bien en comprendre les fonctions :
Il faut pour cela prendre en compte les récentes évolutions sociétales, et constater qu’en milieu rural, une tradition culturelle et cultuelle perdure dont le délitement a conduit en milieu urbain à une perte des repères.
Si, en milieu rural, il existe une forme de conditionnement communautaire (on a en général son cimetière, son prêtre, son pasteur), le milieu urbain fait face à une individualisation exacerbée, et par conséquent, si dans un village il existe un certain consensus autour de la mort (dans un respect des traditions familiales), on sait que l’on peut mourir en ville dans l’anonymat le plus complet et sans autre forme de cérémonial.
C’est là où les cérémonies sur mesure permettent une réappropriation légitime afin de retrouver un sens, dans une recherche de quelque chose qui soit « vrai » pour le défunt (par rapport à un simple respect des conventions), où le mort et la mort sont humanisés.
À défaut d’avoir un protocole établi, il s’agit d’un processus créatif où le célébrant et les proches vont ensemble trouver les éléments pertinents qui vont ensuite permettre de composer une cérémonie qui honore vraiment le défunt, avec une participation plus ou moins active des proches, en fonction des envies, des besoins et des moyens de chacun-e.
Il me semble que cela permet de légitimer le deuil au sein d’une communauté réunie autour des mêmes valeurs.
Enfin, cela permet également une réindividualisation de la cérémonie, dans le respect des valeurs du défunt, même si cela n’est pas toujours conforme à la tradition familiale.

Vocation de célébrant-e

C’est pourquoi, d’après mon expérience, les célébrants ont trois fonctions principales :
Ils servent de cadre ou de miroir, car c’est à travers eux que se reflète la cohérence d’une cérémonie.
Ils permettent aussi de catalyser les idées et de codifier le déroulement de cette cérémonie.
Enfin, ils donnent une sécurité et une fiabilité aux proches que tout va bien se passer car quelqu’un gère la situation et que dans ces moments de désarroi, ils peuvent compter et se reposer sur quelqu’un de fiable.
Maintenant, dans la réalité helvétique, ces cérémonies ont un coût qui varie (en fonction célébrants, des réalités cantonales) entre 500.- et 1500.-.
Il existe une plateforme de célébrants reconnus en Suisse Romande, répondant tous à une charte déontologique que l’on trouve à l’adresse www.celebrants.pro ou www.celebrants.ch.
Il existe une association à Neuchâtel qui s’appelle «Le pas», et d’autres célébrantes et célébrants qui officient en leur nom propre et qui ne sont pas affiliés à une structure particulière.
Il existe un certain nombre de formations, données notamment par l’association «Ashoka» (www.ashoka.ch).
Une plateforme en Suisse alémanique qui permet de regrouper ces différents célébrants: www.ritualnetz.ch, qui offre également une formation;
Et ailleurs en Europe, l’association britannique humaniste qui offre également des formations continues pour devenir célébrant (www.humanism.co.uk).

Conclusion

Avant de conclure, j’aimerais rappeler la citation du jeune et talentueux auteur suédois Stig Dagerman, qui s’est suicidé en 1954, (à 31 ans) et qui a dit :
« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier ».
Cette citation est un clin d'oeil au sous-titre de cette présentation ("comment faire face à notre besoin de consolation?") et je pense que les cérémonies ou l'approche humaniste offrent une alternative viable, qui peut répondre aux besoins de certaines personnes.
References