Introduction

Les rites funéraires catholiques aujourd'hui, en Suisse et ailleurs. Tout d'abord une introduction;
Lors d’un décès, les demandes rituelles à l’Église catholique demeurent nombreuses, même si de plus en plus se développent des célébrations funèbres « profanes ou laïques », sans lien avec une Église, conduites par des « célébrants indépendants ».
J’aimerais réfléchir sur la proposition de sens et de foi à offrir dans les rites funéraires ecclésiaux à nos contemporains.
Au fond, quel cheminement spirituel la liturgie catholique des funérailles permet-elle de réaliser durant l’itinéraire allant de l’accompagnement de la personne mourante jusqu’à la « fin » du processus de deuil ?
Car les rituels liturgiques ne sont pas qu’un ensemble de textes, mais ils sont un faire, une action, en grec un ergon (selon l’étymologie du mot « liturgie », du grec "laos", "peuple", et "ergon", "action").
J’aimerais donc déployer une espèce de phénoménologie de l’action liturgique, dans ce qu’elle donne à entendre, à voir et à toucher (phénoménologie au sens de Husserl).
Mon exposé aura donc trois temps.
Tout d’abord la liturgie des funérailles au plan anthropologique, comme « rite de passage » permettant d’ « enclencher » le travail de deuil ; avec une invitation à une forte « personnalisation » de la célébration dans chaque situation, en fonction de chaque famille.
Puis deuxièmement la spécificité théologique de la liturgie catholique, chrétienne, comme célébration du mystère pascal.
Troisièmement, au plan existentiel, l’expérience spirituelle proposée par le rituel aux endeuillés, en les faisant participer à la Pâque du Christ. Donc une réflexion sur l’invitation faite aux familles à s’investir dans la préparation de tout le déroulement.

Le travail de deuil au plan anthropologique

Donc premièrement, au plan anthropologique, le rituel est le travail de deuil.
Dans toutes les civilisations, les rites funéraires ont plusieurs fonctions.
Tout d’abord de permettre à chacun de trouver sa juste place ; aux endeuillés de vivre sans le défunt, par des rites de séparation (puisqu’ils se situent en marge du groupe) puis de réintégration (lorsqu’advient la levée du deuil) ; et puis permettre au défunt de trouver le repos sans interférer avec le monde des vivants.
Ensuite procurer à ceux qui restent, aux vivants, un certain apaisement devant l’angoisse de la mort, par la répétition rituelle de gestes traditionnels.
Pour que le travail de séparation puisse s’opérer, il faut du temps. Le rituel catholique se déploie ainsi en plusieurs étapes, sur plusieurs jours, comme un vaste dispositif qui est à disposition des personnes, des familles endeuillées, dans lequel elles peuvent puiser en fonction de leurs convictions et de chaque situation.
Première étape avant le décès :
Dans le cadre des équipes d’aumônerie hospitalière et des groupes ecclésiaux d’accompagnement des personnes en fin de vie, il y a la proposition du sacrement des malades ou onction des malades (lorsqu’il est donné en fin de vie, on l’appelle ultime ou « extrême » onction, mais le nom effectif du sacrement est l’onction des malades) ;
l’onction des malades accompagnée du sacrement du pardon (qu’on appelle aussi parfois la confession) et de l’eucharistie (c’est-à-dire le « viatique », du latin via, c’est donc la nourriture, pour le dernier voyage).
Et ce sont des temps qui offrent des occasions de faire comme un bilan spirituel de sa vie, de lâcher prise dans la confiance, et c’est aussi la possibilité de soulager l’entourage, lorsque ces rites peuvent se vivre en famille.
Puis le rituel des funérailles, en tant que tel, lui-même offre trois lieux ou trois « stations »:
Tout d’abord, première « station », au lieu où repose le corps du défunt (c’est-à-dire le domicile ou le centre funéraire, ce qui est le plus souvent le cas dans nos sociétés post-modernes).
Au moment de la mort, il y a des propositions de prière qui pour permettre à la communauté de se rendre présente dans une attitude de profond respect vis-à-vis du défunt.
Il y a même des prières brèves auprès du défunt, si les gens sont là au moment de sa mort, pour ouvrir un chemin d’espérance.
Et avant la célébration, il y a la proposition de célébrations, de veillées de prières, qui ont lieu dans un climat familial, recueilli, où la Parole de Dieu et le souvenir du défunt invitent à se souvenir, dans la prière, de ce qu’a été la vie du défunt, et, déjà, à rendre grâce.
Puis il y a aussi une proposition au moment de la fermeture du cercueil et de son départ, puisque c’est un moment douloureux où le visage du défunt disparaît, et la prière à ce moment-là avive l’espoir des retrouvailles.
Après, il y a le transfert au lieu de célébration des obsèques ; depuis la maison ou depuis le centre funéraire, le défunt est accompagné vers la maison de Dieu où la communauté se rassemble, si possible l’Eglise – l’église paroissiale, parfois c’est dans le cadre d’une chapelle, d’un centre funéraire, ou d’un EMS.
Deuxième station, la célébration des obsèques elle-même.
Elle offre la possibilité aux proches et à la communauté de se rassembler à l’église.
Ainsi, les participants, rassemblés dans la peine et dans la foi, accueillent une Parole d’espérance, se tournent vers Dieu pour le supplier et lui rendre grâce, avant de dire un dernier adieu au défunt.
Ce sont là les quatre parties : rassemblement, Parole de Dieu, prière, et dernier adieu.
Tout d’abord le rassemblement. Les participants sont là parce qu’ils participent eux-mêmes de la même humanité mortelle, et ils sont présents en vertu du baptême, qui unit tous les membres du peuple du Dieu vivant et également des personnes qui ne sont pas baptisées mais qui, au nom de leurs convictions, de leur quête de sens, participent à une telle célébration – le temps, donc, de l’accueil et de l’ouverture.
Deuxièmement, il y a une liturgie de la Parole, avec un accueil de la Parole de Dieu pour renouveler la foi des participants, poser des questions, interpeller ceux qui sont là et qui cherchent un sens dans cette situation dramatique.
Troisième temps, un moment de prière en demandant pardon pour le défunt, pour les fautes de sa vie inachevée, et force pour les proches ; c’est donc un temps de prières et de chants.
Ensuite, un moment d’action de grâce, en reconnaissant l’amour manifesté en Jésus-Christ mort et ressuscité pour sauver l’humanité. Cela peut prendre la forme de prières d’action de grâce, ou alors dans certains cas de l’Eucharistie à proprement dit du sacrement de l’Eucharistie.
Quatrième temps, le dernier adieu, pour confier à Dieu (dernier « A-Dieu ») le défunt dans l’espérance du salut, en remettant sa vie entre les mains du Seigneur (c’est une prière de recommandation), et puis en faisant mémoire de son baptême, avec des gestes symboliques rappelant le baptême.
Cette deuxième station est suivie d’un nouveau transfert vers le lieu de sépulture, pour inviter les gens à aller jusqu’au bout dans la paix reçue du Christ mort et ressuscité.
Et précisément la troisième station, c’est au lieu de sépulture.
Soit au lieu d’incinération (puisque l’incinération se multiplie de nos jours) avec un temps de prière qui peut même être, si on a la possibilité d’accéder au crématorium, pendant le temps d’attente – mais en tout cas au moment de la déposition de l’urne dans le columbarium ou dans une tombe familiale, et puis une prière pour l’inhumation si le corps est mis en terre ; cet ultime adieu au défunt, là où désormais il repose, dans l’attente de la Résurrection, ce temps au cimetière.
Avant le décès, les funérailles proprement dites et puis, troisième grand moment, l’après-funérailles. Toujours dans ce déploiement du temps et des lieux pour les rites des funérailles.
L’après-funérailles c’est d’abord le repas (dans certains cas l’apéritif) des funérailles, qui va être vraiment une occasion d’échanges et d’expression des sentiments à propos du défunt.
En Valais, d’où je viens, se pratique assez systématiquement un repas très simple, où participe quasiment toute l’assemblée, et qui donne l’occasion d’une libération des émotions.
Puis l’accompagnement des familles, des personnes endeuillées, à travers des visites (des équipes funérailles proposent des visites, deux mois, trois mois, six mois, une année après le deuil), des messages de la part de la paroisse, ou des invitations à différentes célébrations par des « équipes funérailles ».
Et puis il y a la pratique de la Messe dite de septième ou de trentième (sept jours ou trente jours après les obsèques), une fois que l’émotion du décès est un peu retombée, pour y associer toute la communauté, y compris ceux qui n’ont pas pu participer aux funérailles proprement dites.
Lors de ces célébrations, un accueil particulier de la famille est fait par les membres des équipes funérailles et le prêtre célébrant.
L’Eucharistie qui suit les obsèques, le samedi ou le dimanche, en cas de funérailles sans Eucharistie, est une occasion pour toute la communauté de s’associer au deuil de la famille et de manifester ainsi que tout ensevelissement est en lien avec le mystère pascal, que l’Eucharistie actualise.
Et puis nous avons la pratique du 1er ou du 2 novembre – c’est en fait le 2 novembre qui est le jour de la commémoration des fidèles défunts, mais dans les pays et les cantons où le 1er novembre est congé l’habitude est prise d’aller sur les tombes l’après-midi du 1er novembre alors que c’est la Toussaint, un jour de grande fête, la fête de tous les saints ; mais en allant sur les tombes avec une célébration au cimetière et une bénédiction des tombes, c’est une façon de continuer de faire mémoire de ceux qui sont partis.
Enfin, des messes anniversaires, une année, deux ans, cinq ans, dix ans après le décès ; ce sont des eucharisties de mémorial pour continuer de recommander le défunt à la tendresse de Dieu.
Vous voyez que les différentes étapes, lieux et stations qui sont proposés permettent une séparation progressive. Le rituel permet d’enclencher ce travail de deuil, qui a besoin d’un déploiement dans le temps.
Une séparation progressive, parce qu’au moment du décès la famille est en présence d’un corps mort ;
après la toilette mortuaire, la mise en bière et la fermeture du cercueil, le visage de l’être aimé disparaît ;
à l’église, la position du cercueil est au centre de la nef, orientée vers l’autel, et cette position indique que le défunt n’appartient déjà plus au monde des vivants, qu’il est déjà participant du monde de Dieu ;
enfin, au crématorium (ou en tout cas au cimetière), le corps disparaît définitivement, soit sous forme de cendre, soit dans le cercueil lui-même.
Tout ce rituel propose donc des déplacements, des processions, des mouvements, parce que le rituel s’incarne dans le corps et a besoin d’une manifestation très concrète où non seulement l’esprit ou l’âme, mais également le corps sont associés.
Il y a des déplacements de la maison, de l’hôpital au centre funéraire, puis à l’église, puis au cimetière (en passant parfois par le crematorium).
Dans la mesure du possible, il y a à l’église, pour les funérailles, des processions à l’entrée, derrière le corps, au moment de l’aspersion (lorsque toute l’assemblée vient asperger le corps en rappelant ainsi le baptême dans lequel le défunt a été plongé, dans la mort et la résurrection du Christ), et derrière le convoi vers le cimetière.
Ce sont donc des processions qui sont « fonctionnelles » qui ont donc une fonction importante pour rythmer le temps et structurer l’espace. Parce que marcher ensemble donne à chaque membre de l’assemblée de se révéler à lui-même comme sujet « vivant et social », membre d’une communauté qui est en marche – nous sommes des pèlerins en route, croyons nous, vers la vie éternelle, et ces processions soulignent cette dynamique que le rituel essaie de mettre en œuvre.
C’était donc une réflexion au plan anthropologique, voici maintenant, en deuxième chapitre, une proposition de sens dans sa dimension théologique : quelle proposition de la foi est faite lors du rituel catholique, proposition de la foi au Christ mort et ressuscité.

La spécificité théologique de la liturgie catholique

En plus de cette valeur anthropologique, que nous venons d’essayer de déployer, qui se trouve donc au service du processus de deuil, le rituel catholique des funérailles propose la foi en Jésus ressuscité, et l’intercession pour que le défunt participe à la Pâque du Christ.
Il s’agit bien d’une proposition et non pas d’une imposition bien sûr, puisque les personnes qui participent aux funérailles se situent avec des convictions multiples et diversifiées, et il s’agit de leur offrir, de déployer à leur intelligence et à leur cœur, ce que la foi chrétienne propose dans le cas d’un décès.
Le défunt est donc associé à la Pâque du Christ, et c’est un accent explicite qui a été voulu par le dernier Concile de Vatican II, qui date de cinquante ans maintenant, dans sa constitution sur la liturgie (en latin SacrosanctumConcilium) au numéro 81, et le nouveau Rituel des funérailles de 1969 exprime avec beaucoup de force et de façon évidente le caractère pascal de la mort chrétienne, et centre toute la réflexion et toute la célébration sur le mystère pascal, ce passage de la mort à la vie en Jésus-Christ.
Déjà à la lumière des deux dimensions de la Pâque juive, une dimension théocentrique (Dieu passe et sauve, c’est déjà ce que déploie Exode au chapitre 12), et puis la pâque au sens anthropocentrique, à savoir ce passage de l’homme à travers la mer Rouge grâce à Dieu vers la terre de liberté, en passant par le désert (ce sont là les chapitres 13 et 14 de l’Exode qui suivent le rituel de la Pâque).
En Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, le passage de Dieu et le passage de l’homme sont profondément imbriqués, au nom précisément des deux natures du Christ.
Par son passage à travers la Passion, le Christ a vaincu la mort et nous a ouvert ainsi la vie éternelle.
D’ailleurs les prières d’ouverture et les prières d’action de grâce sont des confessions au Christ mort et ressuscité.
Par exemple le rituel au numéro 96 :
« Nous nous rappelons que ton Fils Jésus-Christ, par sa mort sur la croix, a rassemblé toutes les solitudes, et, par sa vie plus forte que la mort, il nous assure que nous vivrons ».
La Pâque du Christ est la Pâque du défunt.
Le passage opéré par le Christ n’est pas solitaire – Pâques/passage – le Christ a ouvert la voie, un peu comme un premier de cordée dans les montagnes.
La liturgie invite à prier ainsi pour la Pâque du défunt.
Il y a plusieurs dimensions, plusieurs exemples de cette participation du défunt à la Pâque du Christ.
Tout d’abord le lien entre funérailles et eucharistie : c’est la raison théologique centrale pour laquelle l’Église catholique recommande lors des funérailles la célébration du sacrement de la Pâque du Christ qu’est l’eucharistie.
Le but est d’y associer explicitement la personne décédée (bien sûr, les familles choisissent et parfois le défunt lui-même, en indiquant ses volontés, détermine s’il souhaite ou non l’Eucharistie).
La présence de l’Eucharistie lors des funérailles souligne cette association des deux Pâques.
En deuxième dimension, l’accueil du corps sur le seuil de l’église et la procession du cercueil jusqu’à l’autel. Voilà encore une Pâque.
Le défunt, qui est accueilli sur le seuil, pénètre pour la dernière fois dans l’église, là où d’ailleurs il était entré la première fois à son baptême (le baptême commence lui aussi à l’extérieur de l’église et offre une procession à l’intérieur).
Le corps, le cercueil, traverse la nef et est déposé tourné vers l’autel comme nous le disions déjà, autel qui représente lui aussi un seuil.
L’autel est le lieu où s’effectuent la venue de Dieu vers nous et notre démarche vers lui. C’est un lieu d’articulation, de passage.
L’autel signifie le Christ : le défunt effectue ainsi déjà un passage vers le Christ en étant tourné vers l’autel.
Deux gestes actualisant le baptême, le passage de la mort vers la résurrection : la lumière et l’aspersion.
Le cierge pascal qui est allumé avant la célébration représente le Christ, il est donc déjà allumé avant que commence le rituel des obsèques, Jésus Christ est là, présent, il attend son ami.
Du cierge pascal sont allumés (par exemple avec le cierge de baptême du défunt) différents cierges autour du cercueil.
C’est la lumière du Christ Alpha et Omega qui est ainsi transmise à la personne décédée, comme au jour de son baptême, quand elle a déjà été plongée dans le mystère pascal.
Cela réalise ainsi la promesse faite au baptême (je cite le rituel d’initiation chrétienne des adultes au numéro 227 :
« Vous êtes devenus lumières dans le Christ, marchez toujours comme un enfant de lumière : demeurez fidèles à la foi de votre baptême. Alors quand le Seigneur viendra, vous pourrez aller à sa rencontre dans son Royaume avec tous les saints».
Les funérailles actualisent ainsi le baptême et anticipent le jour où il n’y aura plus de nuit pour les hommes, « car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles » (Apocalypse 22, 5).
Donc le geste du cierge pascal, et deuxièmement le geste d’aspersion du corps du défunt qui rappelle le baptême, le plongeon dans l’eau de la mort et de la résurrection, à l’heure du « grand passage » vers la vie éternelle.
Et puis aussi toutes les oraisons (prières du célébrant) d’ouverture et du dernier adieu actualisent le baptême et soulignent cette dimension pascale.
La plupart des oraisons demandent que le défunt participe au mystère pascal du Christ.
Les prières d’ouverture demandent qu’il partage « l’éternelle jeunesse du Christ » (RF, n. 70, 71), « la gloire de la résurrection » (RF, n. 72) et qu’ il « entre dans la joie de son Maître » (RF, n. 76).
Et l’oraison du dernier adieu, vers la fin de la célébration, le rituel au numéro 123 :
« Tu t’es livré à la mort pour que tous les hommes soient sauvés et passent de la mort à la vie. Ne permets pas que Jules soit séparé de toi, puisque ton amour est plus fort que la mort, donne-lui de vivre dans la lumière, le bonheur et la paix, pour les siècles des siècles. »
Et il y a encore le chant du dernier adieu, qui souligne cette participation à la Pâque du Christ.
Par exemple : « Sur le seuil de sa maison, notre Père t’attend », qui marque ce passage du défunt dans la maison du Père.
Bien sûr, nous pouvons nous poser la question « Mais est-ce que ces confessions de foi ne sont pas trop « élaborées » pour les éloigner de l’Église ? »
Parce que proposer la liturgie, c’est aussi ouvrir un chemin pour permettre de vivre une expérience spirituelle et pour toucher les cœurs.
Tout dépend beaucoup de l’ars celebrandi (c’est-à-dire de la manière de célébrer).
D’où mon troisième chapitre, « une expérience spirituelle du passage de la mort à la résurrection » que permet le rituel des funérailles.

L'expérience spirituelle proposée par le rituel aux endeuillés

Bien plus qu’adhérer à des formules de foi, la liturgie propose de « participer » (cœur, esprit, âme et corps) au mystère pascal du Christ, au sens d’entrer dans un chemin d’intériorisation, un chemin existentiel du mystère (on peut employer là le mot « mystagogique » au sens de conduire dans le mystère).
La liturgie des funérailles essaie d’être mystagogique.
Le rituel catholique des funérailles fait vivre une expérience de passage avec le Christ mort et ressuscité.
De quelle manière ?
Tout d’abord, un certain étonnement liturgique.
Parce que participer à une liturgie des funérailles, c’est d’abord se laisser surprendre, se laisser étonner par le rassemblement sur le seuil, autour du cercueil, ce seuil qui délimite la frontière entre deux espaces.
Puis, en entrant, se constituer comme « corps en marche », faire cette expérience des « passants », et conduire ainsi symboliquement le défunt de sa demeure terrestre à la Jérusalem céleste.
Il y a aussi la surprise de l’altérité du lieu, de l’église-bâtiment, de l’espace de l’assemblée, qui est comme un peu entre la terre et le ciel.
Se laisser étonner par les différents acteurs avec leurs habits liturgiques (aube, croix, étole, chasuble s’il y a un célébrant prêtre) qui signalent l’entrée dans l’ordre cérémoniel. Un temps à part qui veut donner sens au temps habituel.
Aussi, se laisser porter par le silence qui imprègne les gestes, les objets, les ministres, ce silence qui est une condition pour que s’apaise dans le cœur le tumulte des sentiments, et que jaillissent la Parole et le chant.
D’ailleurs, dans les célébrations des funérailles il y a une qualité de silence que nous trouvons rarement dans d’autres célébrations, en tout cas pas dans des célébrations de mariages qui sont souvent bien plus superficielles, voire même de baptêmes, voire même de messes dominicales.
Devant la mort tout le monde se tait, parce que tout le monde est à égalité en quelque sorte, au plan existentiel.
Se laisser donc surprendre par le silence, par le lieu, par les habits, et se laisser porter par ce rituel, nous avons essayé de le montrer, qui ménage des étapes selon une pédagogie visant à « approfondir le sens chrétien de la vie et de la mort, et à accueillir l’espérance de la résurrection » (RF, n. 14).
La liturgie propose un chemin de mort à soi-même pour se laisser gagner par les forces de la vie. Un chemin que chacun peut emprunter, selon ses convictions.
Et comme célébrant de funérailles, durant notamment mes dix ans comme curé à Sierre, j’ai été frappé que beaucoup de retours que j’avais de célébrations et de prédications étaient à propos de funérailles et d’obsèques.
Quatre parties pour cette expérience spirituelle de passage de la mort à la résurrection que le rituel propose.
Tout d’abord, le temps d’ouverture, les rites d’ouverture.
La liturgie accueille les endeuillés tels qu’ils sont, et elle les invite à se convertir au sens latin du terme, c’est-à-dire à se tourner, à tourner leur regard vers Dieu (con-vertere).
Le geste de la lumière, dont nous avons déjà parlé, qui forge ainsi l’assemblée pour qu’elle se laisse embraser par la flamme du feu nouveau allumée au cierge pascal la nuit de Pâques.
Le cierge nouveau qui est béni le samedi saint, précisément la célébration lorsque le Christ passe de la mort à la vie.
Je cite le Rituel au numéro 55 :
« Cette flamme qui vient de toi, Seigneur, lumière dans notre obscurité, qu’elle éclaire ce pas que nous avons à faire pour repartir dans l’espérance ».
Toujours dans le temps de l’ouverture, le geste de déposer une croix devant ou sur le cercueil montre que le défunt n’appartient pas à ses proches mais au Christ. C’est un geste de dépossession (RF, n. 58).
Les invocations au Christ (RF, n. 62-63) sont proclamées debout en posture de ressuscités, et invitent les gens à se tourner vers la croix, non pas vers le cercueil, pour précisément commencer à passer de la mort (le cercueil) à la vie (le Christ vivant).
Et puis le rite du vêtement liturgique (lorsqu’on célèbre les funérailles d’un diacre, d’un prêtre, ou d’un évêque), ou de l’habit blanc (pour les dramatiques funérailles d’un enfant, ou d’un néophyte, un jeune venant de faire sa profession de foi) qui est déposé sur le cercueil et qui actualise le baptême lorsque le baptisé reçoit son habit blanc.
Je cite là le Rituel d’initiation chrétienne des adultes, le rituel du baptême :
« Vous êtes une créature nouvelle dans le Christ : vous avez revêtu le Christ. Recevez le vêtement blanc, puissiez-vous garder intacte votre dignité de fils et de fille de Dieu jusqu’au jour où vous paraîtrez devant Jésus, Christ et Seigneur, afin d’avoir la vie éternelle. » (RICA, n. 226)
Tous les rites des funérailles sont en lien très profond avec ceux du baptême.
Au fond, les funérailles achèvent le baptême, donnent sa plénitude à ce que le baptême a inauguré.
Ainsi le geste liturgique (déposer la croix, allumer la flamme, invoquer le Christ) est une « expression opérante ».
Ce ne sont pas que des paroles ou des gestes extérieurs, c’est processus dynamique qui permet vraiment la construction de la foi.
De même, les prières d’ouverture et les chants qui rassemblent en bouquet les sentiments de tristesse et de doute, demandent ainsi qu’un cheminement s’opère dans les cœurs.
Je cite le Rituel au numéro 69 :
« Seigneur Jésus, tu nous vois déchirés et abattus, nous ne comprenons plus. La mort de Paulette nous semble une injustice ; nous nous tournons vers toi : tu as connu toi-même le scandale de la mort sur la croix.
Permets-nous de découvrir la profondeur de ton amour qui nous fait passer de la mort à la vie pour les siècles des siècles. » Ce passage pascal sur le chemin du calvaire vers le soleil du matin de Pâques, dit une magnifique oraison dans le Rituel au numéro 73.
Premier temps, la liturgie d’accueil. Deuxième temps, la liturgie de la Parole.
Quelle expérience la liturgie de la Parole propose-t-elle ?
Eh bien, celle de se mettre à l’écoute d’un autre.
Il peut y avoir des lectures non bibliques (poétiques) en lien intime avec la vie du défunt, que proposent d’ailleurs les familles parfois.
Il peut y avoir des musiques profanes, notamment durant le temps de l’accueil, ou le temps du dernier adieu, ou lors de la veillée de prière qui précède en général d’un jour les funérailles et qui a une dimension plus familiale et familière.
Ces lectures et musiques non bibliques et profanes peuvent donner une coloration très personnalisée à la célébration.
Mais la liturgie propose, après les rites d’ouverture, d’écouter la Parole de Dieu, cette parole qui nous oblige au décentrement.
D’ailleurs le choix dans le lectionnaire est très vaste, avec des lectures très « accessibles » pour assemblées peu homogènes, et des lectures parfois plus difficiles d’accès demandant une certaine culture biblique, ou correspondant à des situations particulières.
Cette ample proposition de textes parmi lesquels les familles peuvent opérer un choix, permet aux endeuillés de s’y retrouver (puisque ce sont elles qui choisissent les passages en lien avec la vie du défunt) et elle donne à la liturgie de la Parole une grande richesse, surtout si la prédication des funérailles opère une « corrélation » parabolique entre le monde des textes bibliques, celui du défunt et de sa famille, et celui de l’assemblée, et la situation du monde en général, dans laquelle se célèbrent les funérailles.
Je cite le Rituel au numéro 88 :
« Dans les célébrations pour les défunts, la Parole joue un rôle très important.
Elle proclame le mystère pascal, nourrit l’espérance de se retrouver dans le Royaume des cieux, manifeste les liens profonds qui unissent les morts et les vivants, et exhorte au témoignage d’une vie chrétienne ».
Liturgies de la Parole qui nous décentrent, et auxquelles la prière universelle donne écho, une prière "universelle" comme son nom l’indique, qui nous ouvre à d’autres horizons.
La prière universelle s’inscrit dans la même dynamique, à savoir ouvrir les cœurs à d’autres horizons.
On prie pour le défunt, pour les gens dans la peine, et, au-delà, pour les autres défunts, pour ceux qui souffrent, pour ceux qui cherchent la vérité, pour les absents, pour ceux qui soignent les malades, qui accompagnent les mourants.
Deuxième temps, la liturgie de la Parole. Troisième temps, entrer dans l’action de grâce.
Avec une prière de louange, ou, si la messe est célébrée, avec la prière eucharistique.
Là, le décentrement se fait encore plus grand et invite à un véritable retournement, invite à l’action de grâce, à rendre grâce pour l’œuvre du Christ, le don de sa vie par amour, à rendre grâce pour les traces de Dieu dans la vie du défunt, et à rendre grâce pour son passage dans nos existences.
Un peu comme Marie-Madeleine au tombeau, appelée à se retourner deux fois (dans le texte de Jean, chapitre 20, versets 14 et 16).
Les personnes sont invitées, dans les funérailles, à un double retournement.
Non pas à tourner le dos à la souffrance, mais à vivre autrement la peine et le chagrin (premier retournement) ;
Puis deuxièmement à entrer dans la consolation et même dans la reconnaissance, dans l’action de grâce, grâce à la présence de l’Esprit (double retournement).
Action de grâce, quatrième attitude, quatrième expérience que le Rituel propose, le dernier adieu. Doucement, la liturgie nous prépare à la célébration.
La liturgie elle-même est une traversée, une dynamique qui favorise ce passage, non seulement pour le défunt qui est recommandé à Dieu, mais pour les personnes présentes.
Progressivement, le rituel achemine vers la séparation définitive avant que les endeuillés ne réintègrent le monde des vivants.
C’est un moment de tristesse intense, souvent très fort, mais porté par l’espérance.
Je cite le numéro 106 du Rituel :
« Le moment est venu de dire "à Dieu" à Emmanuelle.
Nous allons nous séparer de notre soeur. C’est un moment de tristesse mais il faut que l’espérance reste forte en nous ; car nous espérons revoir Emmanuelle quand Dieu nous réunira dans la joie du Royaume. Recueillons-nous en pensant à tout ce que nous avons vécu avec elle, à ce qu’elle est pour nous, à ce qu’elle est pour Dieu ».
Et suit un grand temps de silence, souvent très fort.
Il y a donc, dans ce dernier adieu, à la fois une intentionnalité théologique et une proposition de relecture de la vie du défunt.
Avec d’ailleurs possibilité qu’un proche rende hommage au défunt (cet hommage qui peut prendre place également au début de la célébration, pour personnaliser les obsèques du début à la fin).
Ce temps du dernier adieu permet cette séparation progressive, délicate, qui se situe au moment de la dépossession, où les endeuillés remettent totalement le défunt à Dieu (nous parlons là de la « recommandation », recommentatio).
Les invocations prévues par la liturgie expriment ce souhait.
Je cite le numéro 115 du Rituel :
« Père infiniment bon, nous te confions maintenant celui/celle qui parvient au seuil de ta maison :
prends avec toi, Seigneur, celui/celle que nous aimons […]. Par l’amour de ton Fils, il/elle t’appartient déjà : qu’il/elle vive en ta présence et partage ta gloire. »
Et alors, c’est là qu’ont lieu les deux gestes de l’encensement et de l’aspertion.
Dans les religions antiques, l’encens, en plus de ses vertus purificatrices, protégeait les vivants contre « l’odeur » de la mort, si je puis dire.
Par son mouvement ascensionnel, l’encens symbolise la « montée » de la prière vers Dieu et honore le corps du défunt, quel qu’il soit.
« Pour une fois, tous sont encensés », dit le prêtre des Loubards Guy Gilbert en parlant des funérailles y compris des gamins de la rue.
C’est un geste à poser ainsi lentement, en laissant le parfum et les volutes de fumée se déployer pour que comme tous les symbole, ils soient parlants par leur beauté et leur simplicité, et leur dignité.
Le Rituel dit au numéro 119 :
« En signe de respect pour vous, voici cet encens. Qu’il monte devant Dieu avec notre prière. »
C’est donc un signe d’offrande, d’apprentissage du don auquel les endeuillés sont introduits.
C’est un geste qui parle à l’odorat et à la vue, alors que l’aspersion qui suit fait appel au toucher, puisqu’il s’agit de prendre de l’eau et de rappeler le geste du baptême qui sauve (en faisant le signe de la croix).
Certains préfèrent s’incliner devant le corps ou alors toucher le cercueil, comme Jésus l’a fait pour le fils de la veuve de Naïm (Luc, chapitre 7, verset 14).
Toucher, mais sans retenir, car le défunt ne nous appartient pas.
Enfin, au cimetière, voire au crématorium, le rituel qui accompagne la disparition du corps, au moment de la crémation, le temps d’attente au crematorium, et la remise de l’urne cinéraire aux proches ou la mise en terre (dans le colombarium) des cendres, soutient cette prise de congé progressive.
De même les textes bibliques, les paroles, les chants, les gestes (souvent une poignée de terre qui est jetée sur le cercueil, une rose, ou alors l’aspersion) tous ces gestes qui accompagnent la disparition définitive du cercueil dans la terre lors de l’inhumation au cimetière, manifestent cette dépossession et cette confiance en Dieu.

Conclusion

En conclusion, le rituel catholique des funérailles accompagne, à la suite du Christ, le passage du défunt de la mort à la vie.
Et, je le crois, je l’ai expérimenté comme célébrant, il suscite l’apprentissage pour chaque endeuillé du consentement à mourir pour se laisser gagner par la vie.
C’est un ensemble des textes, de chants, de gestes, de symboles qui, dans leur enchaînement, étape par étape, permettent de se décentrer de soi-même et de vivre ainsi une expérience spirituelle de (re)centrement sur le Christ.
Nous touchons ainsi du doigt la signification, la valeur, l’effectivité, la performativité du rite (si on peut employer ce terme) pour éveiller toutes les virtualités de la foi. Le rite suscite ainsi la foi, ou la question chez celui qui ne se reconnaît pas comme croyant.
Le rituel « engage le corps symbolique, la langue parlante, la communauté humaine et la terre entière, pour la célébration de l’avènement divin qui a effectivement lieu par le geste humain. » dit Antoine Vergote, dans son livre Interprétation du langage religieux, p.210.
Le rituel engage toute la personne, et ainsi modèle la foi ou interpelle devant ce mystère de la mort, en le tournant vers la Résurrection.
References