Rites contemporains IV. Les rites funéraires dans les nouveaux mouvements religieux

Séverine Desponds et Julie Montandon - 27.08.2013

Introduction

Les «Nouveaux rites funéraires», c’est une expression qui fait référence à «nouveaux mouvements religieux».
Nous commencerons donc par expliciter un peu cette appellation et le contexte suisse en ce qui concerne ces groupes.
Ensuite, nous nous intéresserons à des cas concrets de funérailles dans certains de ces nouveaux mouvements religieux que nous avons rencontrés.
Finalement, nous tirerons quelques conclusions de cette approche par le terrain des funérailles au sein des nouveaux mouvements religieux.
Avant d’entrer dans le vif de notre sujet – les funérailles – il semble primordial d’apporter quelques éléments d’explication au sujet de ce que l’on appelle les «nouveaux mouvements religieux».
Il s’agit ici plus de situer la question que de vous donner une information complète sur une question qui mériterait bien évidemment de longs développements.
D’abord, il faut préciser que les nouveaux mouvements religieux n’ont pour la plupart rien en commun.
«Nouveaux mouvements religieux» est en effet une expression générique qui recouvre des milliers de mouvements dans le monde entier : Eileen Barker, spécialiste anglaise des nouveaux mouvements religieux, estime leur nombre en Europe à 2000 environ.
Ils ont des formes d’organisation très différentes, qui vont de groupes sans structure réunis autour d’un message ou d’un personnage aux organisations structurées et hiérarchisées avec une administration importante.
Ils possèdent des croyances et des origines religieuses très différentes.
L’expression de «nouveaux mouvements religieux» est en fait née au Japon où l’on parle de «shinshûkyô» pour caractériser les groupes nés après la Seconde Guerre mondiale.
En Occident, c’était le terme de «sectes» ou «cults» en anglais qui était communément utilisé.
Mais, parce qu’il était connoté péjorativement et ne permettait plus aux chercheurs de l’utiliser dans une acceptation neutre et sans jugement de valeur, c’est peu à peu l’expression de Nouveaux mouvements religieux qui lui a été préférée, dès les années septante (70).
On peut dire aujourd’hui que ce terme est plutôt utilisé par défaut, car comme nous allons le voir, il n’est pas facile de définir les frontières des nouveaux mouvements religieux, tant sont variées leurs caractéristiques.
D’autres expressions sont parfois utilisées : on parle de religions alternatives, de religions émergentes, de religions minoritaires, ou encore de nouvelles communautés religieuses.
Il est très difficile de déterminer des éléments communs à tout ce qui est appelé nouveau mouvement religieux, tant la diversité est importante.
Voici cependant quelques caractéristiques générales des nouveaux mouvements religieux :
Les nouveaux mouvements religieux sont en rupture avec une religion établie (rupture en matière de doctrine, de rites, d’organisation, création d’un nouveau corpus d’écritures saintes, etc.).
Il n’est ainsi pas rare que des prophètes prétendent apporter une révélation expliquant le véritable sens de la Bible ou du Coran par exemple.
On note également l’utilisation de sources éclectiques.
Les nouveaux mouvements religieux opèrent souvent une «cohabitation» entre des éléments puisés dans diverses cultures, un syncrétisme délibéré.
Il y a souvent rupture de la continuité culturelle; la conversion d’Occidentaux à des mouvements d’origine extra-occidentale implique souvent la sortie d’un cadre de transmission traditionnel et entraîne l’étiquetage d’un groupe comme nouveau mouvement religieux.
On peut penser par exemple au Monastère du Mont-Pèlerin ou à la New Kadampa Tradition.
Un autre motif qui revient souvent dans le cadre des nouveaux mouvements religieux est celui du passé idéalisé.
Ces groupes s’attachent dans certains cas à recréer des pratiques religieuses disparues depuis longtemps.
C’est le cas des courants néo-païens, par exemples les druides.
En fait, ce qu’il est important de préciser, c’est que cette expression n’est pas un concept scientifique, mais qu’elle est née pour désigner tout d’abord un nouveau champ de recherche pour les anglo-saxons - c’est un outil descriptif.
Aujourd’hui, ce champ de recherche est toujours florissant.
Je vous propose maintenant quelques chiffres concernant les nouveaux mouvements religieux en Suisse.
La première constatation est cependant la suivante : il n’existe pas de liste officielle des nouveaux mouvements religieux tenue à jour dans un service de la Confédération, ni dans un service cantonal.
Les données sont donc très lacunaires en ce qui concerne ces groupes.
Les chiffres que je vous présente ici sont issus des groupes eux-mêmes et sont donc à prendre avec des pincettes.
Les données que nous allons vous présenter maintenant proviennent du terrain.
Elles sont issues de nos travaux de mémoire respectifs et de notre pratique professionnelle.
Il s’agit davantage d’une mise en perspective que d’un travail scientifique abouti.
Comme expliqué dans l’introduction, le seul moyen concluant d’obtenir des informations sur les nouveaux mouvements religieux, c’est le terrain.
C’est aussi un aspect très important de notre pratique professionnelle.
Le CIC (Centre Intercantonal d’informations sur les Croyances) possède des informations détaillées sur 700 groupes et thèmes, et nous avons donc puisé dedans.
Ces dossiers proposent, sur un groupe ou un thème, différents points de vue, issus de différentes sources.
Ces sources sont le contact avec les groupes, des ouvrages ou des articles scientifiques, des informations puisées dans le réseau de spécialistes, des articles de presse, ou encore des documents issus des autorités publiques.
Nous avons également rencontré les groupes dont il est question et nous leur avons posé des questions en lien avec leur pratique des rites funéraires.
Je profite ici de remercier chaleureusement les personnes qui nous ont reçues lors de nos recherches et qui nous ont permis d’avoir accès à ces précieuses informations.
Nous avons donc choisi de vous présenter des cas.
Comment fait-on des rites funéraires dans ces groupes précisément?
Nous n’évoquerons que rapidement les croyances de ces communautés, qui demanderaient un long développement à elles seules, pour préférer nous concentrer sur les rites.
Si vous souhaitez des informations complémentaires, je vous invite à prendre contact avec le CIC notamment.
Une question qui me semble primordiale et que nous aimerions garder en tête pendant cette présentation est la suivante :
Si l’un des buts visés par le rite est de souder la communauté par le partage de symboles et le langage religieux commun, comment cela peut-il s’accomplir lorsque l’on assiste à un tel éclatement des appartenances ?
Comment concilier sa propre manière de faire des rites (si je suis mahikariste par exemple) avec celle de sa famille protestante vaudoise ?
Soit, comment faire communauté lorsqu’il y a scission des croyances, si comme le suggère le sociologue Pierre Bourdieu, c’est bien « la croyance de tous qui préexiste au rituel, [qui] est la condition de l’efficacité du rituel » ?

Eglise de Scientologie

Nous allons commencer ce panorama par l’Eglise de scientologie.
Ce mouvement religieux controversé - né dans les années 1950 aux Etats-Unis - est présent en Suisse depuis les années 70 ; ce groupe dispose donc d’une expérience de plus de 40 ans dans la célébration d’obsèques dans la région.
Nous l’avons du reste choisi pour notre échantillon, d’une part, parce que cette expérience en a fait un témoin intéressant pour notre thématique – la communauté vit régulièrement des deuils – et, d’autre part, car son rite funéraire (son office funèbre) est très sobre et offre un contraste intéressant avec l’image médiatique de l’Eglise.
Pour comprendre le rite, nous souhaitons vous donner quelques caractéristiques de ce mouvement.
Replaçons-nous dans le contexte des années 1950-1960 au sein duquel l’Eglise de scientologie est un mouvement alternatif.
Comme le dit l’ancien médecin du fondateur (le fondateur qui s'appelle Ron Hubbard) interviewé par l’historien des religions américain Hugh Urban, je cite :
«…Beaucoup de jeunes en recherche spirituelle dans les années 1960 commençaient juste à s’intéresser aux idées religieuses non-conventionnelles comme la réincarnation, les phénomènes psychiques et la médecine alternative. Pour l’adhérent, la scientologie était l’un des premiers mouvements rencontrés qui présentaient toutes ces idées d’une façon convaincante, attirante et apparemment scientifique.»
Avant d’être une religion (alternative), le mouvement se présente donc comme une thérapie.
En effet, le cœur de la pratique est constitué de la dianétique, une technique présentée pour la première fois en 1950 par Ron Hubbard, et appelée par lui la science mentale.
Les scientologues croient que les événements laissent des traces sur la piste de la mémoire, qu’on pourrait comparer à l’une de ces anciennes bandes magnétiques, et qu’il s’agit de traiter les traces, les «engrammes», problématiques.
En les traitant par l’audition, un procédé codé par Hubbard, secret, mais qui inclut un protocole de questions et qui s’inspire de la popularisation de la psychanalyse en cours dans les années 1950.
Durant l’audition, les événements ayant laissé des traces sont notamment, selon toute vraisemblance, verbalisés et répétés de nombreuses fois.
Ce procédé est une pratique centrale dans la scientologie, et il est utilisé également dans la gestion du deuil.
L’individu dispose donc d’un mental dans lequel s’impriment les "engrammes" et d’un "thétan" qui est le nom de l’âme, pourrait-on dire, en scientologie.
En effet, la scientologie se présente également comme un mouvement religieux, et en 1953-1954, Hubbard a transformé la dianétique en une religion et ajouté des cérémonies dominicales et des rites de passage (baptême, mariage, enterrement qu’on appelle l'«office funèbre» en scientologie).
La scientologie est donc héritière du mouvement métaphysique de la Nouvelle Pensée, le New Thought, un mouvement américain du XIXème siècle, car Hubbard postule que l’individu est un thétan, un être spirituel immortel disposant de facultés supérieures, extraordinaires, et qui dispose d’une enveloppe charnelle.
Le mot provient de la lettre grecque théta. Hubbard appréciait un langage inspiré de l’ingénierie et des mathématiques.
Le New Thought, à l’origine également du développement personnel, que l’on connaît bien aujourd’hui, postule que le mental a du pouvoir sur la matière. Le premier livre d’Hubbard avait d’ailleurs pour titre: «La Dianétique, puissance de la pensée sur le corps».
Dans cette perspective, un individu peut accroître ses "potentiels" physiques, intellectuels et même réaliser des prouesses qui sembleraient surnaturelles.
Toutes ces croyances ont des effets sur la façon dont la scientologie considère la mort et l’au-delà : il n’y a pas d’au-delà dans la scientologie, car le thétan renaît dans un nouveau corps pour poursuivre la "réalisation" de son "potentiel".
Comme le dit l\'un des textes de l’office funèbre (il y en a trois à choix) :
«Au paradis n’allez plus.»
Ou encore: «Et nous découvrons que nous vivons, non pas une seule fois, mais éternellement, de la naissance du corps à son trépas, pour naître à nouveau, et encore, oui, trépasser.»
«Quel gaspillage de croire que tout notre amour, notre travail, nos dons, nos connaissances et nos soupirs étaient destinés à se consumer tous en un souffle, en un éclair et sous un seul nom.»
Il n’y a pas d’au-delà en scientologie et le service funèbre sert donc, je cite une ministre scientologue interviewée (la ministre étant la personne qui célèbre les cérémonies en scientologie), à «orienter le défunt vers sa prochaine naissance».
Les funérailles s’adressent au défunt pour qu’il se sente libre d’emporter ses "réalisations" dans l’autre vie et qu’il y réalise son "potentiel". Comme le dit par exemple Hubbard dans un ouvrage :
«Vers la vie s’élancent nos esprits conquérant sans cesse des trésors de sagesse face au trépas nous ne tremblons pas nous savons que le souffle n’est pas vie.» Donc le souffle n’est pas associé à la vie en scientologie.
L’office funèbre consiste donc principalement en la lecture d’un texte composé par Ron Hubbard (il y en a trois à choix) et imprimé dans le manuel de cérémonies. Mais ce texte n’est pas tout.
Comme l’illustre la description fictive d’un cas, reconstitué à partir de plusieurs récits qui nous ont été faits et de l’observation du rite, on se rend compte que la mort n’est pas seulement ritualisée lors de l’office funèbre, mais qu’elle mobilise les pratiques principales de l’église.
Je vais donc vous décrire un cas, ce cas reconstitué.
La ministre de l’Eglise reçoit un téléphone de la part de Gérard (nom d'emprunt), un membre qui vient de perdre sa mère.
Il est bouleversé, elle lui conseille de «venir tout de suite au centre» (au centre de scientologie).
Il y est audité : il va narrer plusieurs fois le moment lors duquel il a appris la mort de sa mère et selon la ministre, cela le soulage.
Deux jours plus tard, un office funèbre est célébré dans une salle du centre (donc une journée avant le rite catholique) par la ministre, pour la mère de Gérard et le père de Philippe, décédé deux mois auparavant (donc un double office funèbre).
Les participants prennent place en rang face à la ministre, debout à son pupitre, dans une salle standard qui ressemble à une salle de classe.
Deux bouquets de fleurs sont disposés à la droite de la ministre et ils représentent les thétans (donc les âmes immortelles de la mère et du père décédés) et la ministre se tourne vers eux lorsqu’elle mentionne leur nom.
Elle lit l’office dans le manuel de cérémonie, un ouvrage épais relié en cuir. La cérémonie dure une vingtaine de minutes, sans musique.
A la fin, un petit apéritif sans alcool est servi au bar du centre et quinze minutes plus tard, les participants, dont l’endeuillé, se rendent à l’«entraînement» (un programme de lectures personnalisé des ouvrages de Hubbard).
D’ailleurs, une des participantes à l’office étudie actuellement l’ouvrage intitulé "Scientologie, une nouvelle optique sur la vie" où il est question des conceptions de Ron Hubbard sur la vie et la mort.
On voit donc que non seulement l’audition peut être mobilisée (l’endeuillé se sent plus calme, selon la ministre, après l'audition), mais également l’entraînement.
L’audition car le choc engendré par la perte d’une personne aimée crée des engrammes qui peuvent être traités, selon les scientologues, en dianétique comme tout événement de la vie de l’adhérent ; et l’entraînement, c’est-à-dire les lectures des ouvrages de Ron Hubbard qui sont très nombreux, et qui abordent les croyances fondatrices liées à la vie, à la mort et à son interprétation.
Notons que certaines lectures sont réservées à certains niveaux de formation interne (ou d’initiation pourrait-on dire).
Troisième pratique qui peut être mobilisée, les assists, qui sont des procédés qui permettraient de relâcher la charge émotive d’un événement par la répétition de phrases ou de gestes.
Certains assists peuvent être par exemple prodigués aux personnes en fin de vie, par exemple des assists destinés à traiter la souffrance physique.
Nous observons, avec ce premier cas de nouveau mouvement religieux, une première variante dans la manière de réaliser des rites funéraires « alternatifs », différents.
Première constatation : si on postule que le point de référence dans ce cas-là est un rite protestant «générique», ce qui est raisonnable dans le contexte américain dans lequel a grandi le fondateur du groupe, le décalage entre le rite du groupe et le rite de la religion majoritaire est en fait assez minime (malgré le caractère médiatisé et controversé de l’église).
Les textes expriment des croyances bien différentes des croyances chrétiennes mais la mise en scène du rite, la localisation des personnes impliquées, l’utilisation de l’espace, les gestes, les objets imitent en grande partie ceux du rite protestant.
On voit que les participants sont disposés de la même façon avec une personne au pupitre et un public assis en rangées en face, on observe également la centralité du Livre comme objet sacré (il est disposé sur un lutrin), la présence de bouquets…
Nous remarquons donc à la fois une logique de rupture par rapport à la religion dominante dans les doctrines, mais aussi une logique d’imitation de la religion majoritaire, voulue probablement par Ron Hubbard, afin de recevoir des formes de reconnaissance, notamment juridique.
Le groupe se plie à certaines normes, certes, mais sur un mode minimal : la cérémonie est courte, l’apéritif également et il n’y a pas de musique.
Voilà pour la première variante. La prochaine étude de cas nous emmène dans un tout autre univers, au sein duquel la ritualisation de la mort reçoit au contraire un traitement important.

Collectif Reclaiming

Le cas suivant est un rite funéraire issu d’une communauté de néo-sorcellerie éco-féministe, fondée à San Francisco.
Ce groupe est présent en Europe du nord, surtout, et dans le monde anglo-saxon ; très peu présent en Suisse.
Nous souhaitons quand même vous le présenter parce qu’il est, d’une part, assez spectaculaire et, d’autre part, parce que cette communauté présente beaucoup de points communs, dans l’outillage symbolique mobilisé dans les rites, avec le néo-chamanisme qui est actuellement assez populaire en Suisse romande.
Comme le néo-chamanisme, la néosorcellerie base ses pratiques sur les quatre éléments (eau, air, feu, terre), sur les éléments naturels en général; elle pratique l’interprétation des rêves, et emprunte à l’art thérapie pour réaliser des rituels sur mesure, avec les confections de masques et autres objets.
Cette communauté américaine, «Reclaiming», née au début des années quatre-vingt, est issue du Goddess movement, un mouvement de spiritualité qui dénonce la domination masculine dans les religions établies et qui revalorise les femmes, les prêtresses et les déesses.
La communauté américaine «Reclaiming» est, d’autre part, issue du néo-paganisme, un mouvement regroupant des communautés très diverses, mais qui ont tout de même comme dénominateur commun de s’inspirer des religions pré-chrétiennes d’Europe.
Le rite y est aussi un dénominateur commun : la plupart des groupes néo-païens se basant sur un calendrier de huit fêtes saisonnières dont Halloween le 31 octobre (qui est appelé dans le cadre du néo-paganisme «Samhain»).
A Halloween, Reclaiming, un groupe militant écologiste, pacifiste, féministe, militant pour les droits des minorités ethniques et sexuelles, organise une célébration annuelle lors de laquelle les morts de l’année sont célébrés.
La communauté invite toute la scène néo-païenne et nouvel âge de la région, il y a donc plusieurs centaines de personnes, ce qui est assez rare dans ces mouvements alternatifs - et c’est aussi une des raisons pour laquelle nous vous présentons cette communauté.
Dans une salle louée, la communauté va dresser des autels pour les quatre éléments et pour les morts.
Elle imite en cela la tradition mexicaine (la communauté mexicaine étant nombreuse à San Francisco), qui consiste à dresser des autels pour les morts lors de la Toussaint et du Jour des morts (les 1er et 2 novembre). Des autels assez élaborés.
Six types de morts sont évoqués :
- La mort comme principe du cycle naturel (naissance, croissance, mort, dégénérescence). Ce sont les dieux et déesses qui illustrent ce principe, qui sont choisis chaque année en général;
- Les mighty dead («morts puissants»), qui sont en quelque sorte les saints de la tradition, on pourrait dire, les «sorcières» les plus connues de la tradition;
- Troisièmement, les ancêtres ethniques : en cela, "Reclaiming" s’inscrit dans le contexte américain dans lequel l’ethnicité est une catégorie identitaire opérante (ça pourrait être un autel par exemple aux ancêtres juifs de certains adhérents, ou bien des ancêtres celtiques de personnes qui ont une ascendance irlandaise);
- Quatrièmement, certaines catégories de morts dramatiques comme les enfants, les personnes mortes par violence raciale;
- Cinquièmement, les espèces animales et végétales éteintes, en danger, ou en voie d’extinction (en 2012, il s’agissait des abeilles);
- Et, en dernier lieu, les personnes proches décédées (donc les morts familiers).
Par des invocations multimedia alliant danse, chants, percussions, projections de diapositives, ces aspects sont évoqués par les membres.
La "litanie" des morts de l’année et des nouveaux-nés est lue (les participants envoient le nom de leur mort et des nouveaux-nés, et elle est lue par une prêtresse).
Puis les participants sont guidés dans une visualisation basée sur l’adaptation libre d’un mythe réconfortant – celtique par exemple - lors duquel les vivants et les morts se rejoignent le temps du rite.
La visualisation s’achève par une ronde prenant la forme d'une spirale, à laquelle les morts sont censés également participer.
Ce rituel permet au groupe de rappeler les croyances communes et de recréer la communauté des vivants et des morts le temps du rituel.
Néanmoins, il s’appuie sur une large communauté alternative à San Francisco, ce qui ne reflète pas l’état des autres groupes de ce type, de taille très réduite et ne pouvant offrir le support de l’effervescence collective.
Avec ce deuxième cas de nouveaux mouvements religieux, nous pouvons observer une rupture plus importante que celle opérée par l’Eglise de scientologie par rapport à la religion chrétienne.
Le rite prend davantage une forme exubérante, d’un spectacle participatif, réunissant des éléments religieux éclectiques.
Les doctrines diffèrent, mais aussi la mise en scène du rituel, la localisation des personnes, l’utilisation de l’espace, les gestes et les objets mobilisés.
Nous sommes tentées de dire qu’il y a ici une double logique : une logique d’évitement, voire de contradiction de la norme, mais cette fois-ci il s’agit de la norme de la sobriété du rite dominant (sobriété de l’expression, des mouvements, des couleurs). Tout s’oppose.
Mais on observe également une logique d’imitation de certains éléments rituels qui permettent de contredire cette norme ; par exemple, dans l’emprunt à une tradition mexicaine populaire catholique, avec les «ofrenda».
Cependant, il y a un point commun avec la scientologie qu’il faut souligner, c’est qu’il s’agit d’un rite qui peut honorer plusieurs défunts en même temps, d’une part, et, d’autre part, le corps des défunts est absent.
On peut faire l’hypothèse que conduire un rite funéraire sans les corps répond également à une logique d’évitement par rapport à la société dominante, d’évitement des conflits dans le traitement du corps.

Sûkyô Mahikari

Je vais maintenant vous parler de Sûkyô Mahikari.
En deux mots, Sûkyô Mahikari est un groupe d’origine japonaise, fondé en 1959 par Kôtama Okada.
Ce groupe a connu une expansion importante au Japon dès les années 1970.
Il connaît aujourd’hui une grande popularité en Europe, mais aussi en Afrique et en Amérique latine (au Brésil en particulier).
Il s’agit d’un mouvement de guérison dont les croyances sont basées en grande partie sur la tradition shintoïste.
Les notions de pureté et de pollution sont ainsi primordiales dans ce groupe.
La maladie y est comprise comme un signe de pollution résultant d’une possession des esprits des ancêtres notamment (je reviendrai sur ce point par la suite).
L’enseignement de Sûkyô Mahikari est transmis sous forme d’initiation.
Notamment, le thème de la vie après la mort est un sujet traité lors de cette initiation.
En Suisse, le groupe compterait entre 300 et 350 membres ; il existe trois Dojo (lieu de rencontre) : à Genève, Vevey et Lugano.
A noter encore que notre informante décrit Sûkyô Mahikari plus comme une technique, un art vivant dans le quotidien.
Sûkyô Mahikari se dit d’ailleurs ouvert à toutes les croyances : athées, chrétiens, juifs, bouddhistes, membres de groupes minoritaires, tout le monde est le bienvenu.
Le premier rite que je vous présente est l’Okiyome, la transmission de la lumière à travers la main.
C’est sans doute le rite le plus important au sein de ce groupe, car il est utilisé pour la purification (soin des maladies et des troubles).
Une lumière (provenant du Dieu Su) est canalisée chez l’initié par son omitama (amulette).
La transmission de cette lumière se fait à travers la main.
Dans le cadre des décès, l’Okiyome est requis pour permettre à l’esprit de quitter sereinement le corps.
En effet, Sûkyô Mahikari considère qu’il existe trois mondes: le monde divin, le monde astral et le monde physique.
Le monde divin correspond à un monde où se trouvent les «esprits purs», sortes de divinités.
Le monde astral est un monde intermédiaire où se rendent les entités immatérielles (esprits) après la mort (il existe plusieurs niveaux selon que l’on a été bon ou mauvais).
Enfin, le monde physique est celui où nous nous trouvons et dans lequel intervient la mort.
Après la mort, la personne, sous forme d’esprit, se retrouve dans le monde astral et doit accomplir différentes pratiques et exercices pour pouvoir se réincarner dans le monde physique.
Comme l’esprit a occupé le corps pendant une longue période, il existe des liens spirituels invisibles qui le lient au corps physique.
Selon Sûkyô Mahikari, il est alors nécessaire de purifier le corps de la personne avec la «Vraie Lumière» du Dieu (Su) durant plusieurs minutes, voire plusieurs heures.
Concrètement, les membres du groupe se réunissent autour de la dépouille et pratiquent ensemble sur le corps l’okiyome, mains levées.
En plus de cette transmission de lumière, le groupe dit des prières spécifiques et chante ; la langue utilisée est appelée «kotodama»: il s’agit d’une langue propre à Sûkyô Mahikari.
Ces démarches sont coordonnées par un responsable.
Cette cérémonie se déroule le plus souvent dans la chambre funéraire, ou à l’hôpital, mais parfois aussi au domicile du défunt.
Concernant le traitement du corps, Sûkyô Mahikari ne donne pas de recommandation particulière.
Il n’y a pas de cérémonie spécifique lors de la remise des cendres, mais la famille peut faire purifier l’urne par l’Okiyome également.
Il n’y a pas de sépulture particulière non plus.
Par la suite, après quarante-neuf jours, l’esprit est considéré libre de se rendre où il le souhaite.
Mais le processus complet de purification dure entre trois et deux cent ans et implique la perte de toutes les attaches et de la mémoire de la vie sur terre ; c’est alors le moment de la réincarnation.
Le deuxième rite que je vous présente est celui du culte aux ancêtres.
Sûkyô Mahikari considère que 80 % de toutes les maladies et des malheurs sont causés par des cas de possession spirituelle.
Dans cette logique, la maladie est causée par les esprits possesseurs des ancêtres du malade ou de victimes de ceux-ci.
Parfois, ce sont également des ancêtres insatisfaits des rites qui leur sont rendus.
Il est donc primordial de dresser un autel des ancêtres appelé Butsudan.
Pour leur rendre hommage, on prépare des tablettes avec les noms donnés aux ancêtres après leur mort (comme dans le bouddhisme, un nom est attribué post-mortem).
Ces noms sont écrits en doré.
On place devant les stèles qui sont disposées dans un ordre précis, de la nourriture et des boissons, parfois aussi des cigarettes (comme on le voit ici à droite).
Cette démarche est considérée nécessaire pour aider les ancêtres à traverser une période de purification avant leur réincarnation.
La nourriture leur apporte de l’énergie, des textes leur indiquent comment vivre dans le monde astral, etc.
Pour conclure sur ce groupe, je vous propose quelques remarques liées aux rites funéraires au sein de SukyôMahikari.
On note ici l’importation de pratiques d’autres origines culturelles dans notre société : éléments shintô et bouddhistes.
D’un autre côté, l’exportation de ces pratiques dans différents pays implique également des modifications du rite.
Ce sont ici des lettres romaines qui sont utilisées pour inscrire le nom du défunt sur la stèle, par exemple.
La mort est mise en lien avec la pollution, la maladie.
Omniprésent, le motif de la mort est placé au centre des préoccupations.
L’autel se trouve ainsi dans l’espace privé, au domicile.
Cette démarche est intéressante dans une société qui a tendance à «occulter» la mort.
Par ailleurs, les ancêtres, via le Butsudan, sont inclus post-mortem dans la communauté.
On assiste ici à une résolution de la question du partage du rite avec sa famille lorsqu’elle appartient à une autre confession.
Finalement, l’aspect initiatique de Sûkyô Mahikari, fortement visible dans le cadre des prières (une langue particulière est utilisée, une amulette est portée par les seuls membres), renforce la communauté et le partage exclusif, par des symboles seulement compréhensibles par les initiés, du rite.

Association des Libres penseurs

Je vais passer maintenant à un tout autre groupe.
Il s’agit de l’Association suisse des Libres penseurs.
Cette association est née en 1908 à Lucerne.
L’objectif poursuivi par le groupe est, selon leurs propres termes, de «défendre les intérêts des personnes sans éthique religieuse, n’appartenant à aucune religion ou confession».
L’association se base sur des valeurs issues des Lumières et milite activement pour la séparation de l’Etat et de l’Eglise, notamment.
Dans les statuts des Libres penseurs, il est notamment prévu de fournir une  «offre en fonction des besoins existants, des remplacements de services religieux […].»
Aujourd’hui, l’Association suisse des Libres penseurs compterait environ 1400 membres en Suisse dont 100 dans le canton de Vaud, et 4 à Genève.
En Suisse romande, il existe des sections dans le canton de Vaud, Genève et Valais.
Les membres sont issus de différents milieux politiques et deux tiers d’entre eux (64 %) se disent athées.
Ce groupe est connu pour ses revendications et un certain sens de la provocation (ici une campagne d’affichage qu’ils souhaitaient faire à Genève et qui n’a pas été acceptée par les transports publics genevois).
Selon notre informant, en l’espace de quinze ans, les demandes de funérailles déposées auprès de l’Association suisse des Libres penseurs du canton de Vaud sont stables : 8 chaque année en moyenne.
Ces demandes proviennent soit de libres penseurs ou de connaissances, soit de personnes désirant des funérailles laïques ou de personnes athées conseillées par les pompes funèbres.
Le déroulement de la cérémonie diffère selon la personne.
Mais en règle générale, lorsque le célébrant libre penseur rencontre la famille, il recueille des informations dans le but de rédiger une sorte de «curriculum vitae» du défunt qui sera prononcé lors de l’hommage funèbre.
Dans certains cas, des volontés précises ont été laissées, précisant le type de musique souhaité, la décoration voulue, les textes à dire.
Mais dans la plupart des cas, il n’y a rien, tout est à construire.
Le lieu n’est pas fixé non plus. La cérémonie peut se dérouler dans une salle communale, au centre crématoire lorsque les chapelles peuvent être laïcisées, ou dans un temple où les symboles religieux sont recouverts ou encore au cimetière.
Si les cérémonies sont toutes différentes et varient très fortement selon la personne défunte, le célébrant libre penseur commence en général par un «protocole d’introduction» :
Il explique pourquoi il n’y a pas de croix, pourquoi c’est une cérémonie civile.
Ensuite, le célébrant passe un peu de musique et fait un éloge du défunt.
Parfois des proches du défunt prennent la parole, parfois non. Tout est écrit et prévu d’avance avec la famille.
A l’issue de l’enterrement, une verrée est souvent organisée.
La cérémonie est entièrement tournée vers le défunt, il n’est fait référence à aucune divinité.
Voici maintenant une citation recueillie auprès de mon informant.
Elle est plutôt symptomatique du rapport ambigu entretenu avec le rite funéraire chrétien :
«Y a pas de standard, faut improviser. Pas improviser sur le moment hein, faut chercher. Pis bon, c’est comme les pasteurs, eux ils ont la Bible pour rechercher des textes qui calment tout le monde et pis ils embellissent tout ça, pis moi j’ai les textes laïques hein tant que je veux ouais, des philosophes».
Le lien qui est fait entre l’Eglise et la Libre Pensée est intéressant.
Le rite est propre à chaque personne, mais il part d’une base pour la réinventer.
Le christianisme et ses rites sont utilisés pour en proposer une version revisitée, si l’on veut.
En effet, le rite chrétien est pris comme l’exemple à ne pas suivre, sans que l’on puisse vraiment s’en affranchir.
Ceci pose la question de la possibilité d’«inventer des rites» sans revisiter une base existante.
On note également chez les Libres Penseurs une volonté de personnification du rite qui est tourné vers le défunt (ceci est probablement à mettre en lien avec une évolution actuelle décrite par les sociologues des religions).
Finalement, je vous propose quelques remarques sur la pratique des rites funéraires chez les libres penseurs.
La cérémonie est la plupart du temps conduite devant un groupe dispersé dans ses conceptions.
Il est fréquent que les volontés laissées par le défunt et celles de sa famille soient en conflit.
Parfois, un libre penseur ayant laissé ses dernières volontés pour un rite laïque est rapidement enterré de façon chrétienne.
Je peux également citer le cas d’un militant anarchiste qui avait laissé comme dernières volontés qu’à un instant de la cérémonie, l’assistance, constituée notamment de sa famille très catholique, se lève au son de l’Internationale et dresse le poing gauche.
Un symbole fort, qui n’a pas été accepté et suivi par plus de la moitié de l’assistance.
Les symboles revendiqués des libres penseurs, si l’on peut dire, c’est l’absence militante de symboles religieux, que le protocole d’introduction permet de tenter de partager.
Mais il y a quand même des symboles (comment faire autrement ?).
Les symboles utilisés sont alors plutôt issus de la sphère personnelle.
Un spécialiste des travaux subaquatique demande que son urne soit déposée sous l’eau : les dernières volontés personnelles engendrent alors un univers de symbolisation.
La solution proposée pour se soustraire au monopole des symboles chrétiens, c’est alors, une nouvelle fois, la personnification du rite.

Mouvement raëlien

Le cas raëlien, notre dernier cas, illustre un dernier modèle de rite funéraire : un rite dont la nouveauté provient de la subversion du modèle dominant, en l’occurrence catholique.
Le mouvement raëlien est une organisation spirituelle internationale soucoupiste (c’est-à-dire une organisation dont la spiritualité est fondée sur la croyance aux extra-terrestres).
Elle a été créée en 1976 par Claude Vorilhon, appelé «prophète Raël» par le groupe.
En Suisse, le mouvement raëlien rassemble, selon le groupe lui-même, un millier de personnes, et il est organisé en association.
Quelques mots sur les croyances: le fondateur postule que la vie sur la terre a été créée scientifiquement par une espèce extraterrestre appelée les Elohim.
Ces extraterrestres auraient notamment révélé que, je cite:
«Toute vie sur terre, y compris l’homme, fut créée scientifiquement en laboratoire grâce à une maîtrise parfaite de l’ingénierie génétique et de l’ADN par les Elohim.»
Le mouvement se décrit également comme un mouvement matérialiste. Comme nous l’a dit un des membres du mouvement :
«On est à 150 % matérialistes : on démystifie les croyances et on spiritualise la science».
Alors qu’en est-il du rite funéraire ?
Le mouvement raëlien suisse a connu peu de décès.
Mais, en cas de décès, une cérémonie est possible; elle est optionnelle. Elle peut être dirigée par un "Guide", terme désignant les chefs spirituels dans le mouvement.
Mais les Raëliens peuvent également demander par testament de réaliser un rite funéraire particulier - particulier en ce qu’il est le seul de notre échantillon à impliquer une manipulation du corps défunt.
Le nom de ce rite est la «reconnaissance à la mort» et il reflète la foi dans le clonage et les convictions matérialistes du groupe.
Il fait l’objet d’instructions dès 1974 dans l’ouvrage de Claude Vorilhon intitulé «Le message que m’ont donné les extraterrestres».
Ce texte préconise, à l’occasion de la mort, de faire un rassemblement joyeux, une fête joyeuse,
car, je cite: «C’est le moment où l’être cher accède peut-être au paradis des éternels en compagnie des Elohim, nos créateurs.
Tu demanderas donc à ne pas être enterré religieusement, mais tu feras don de ton corps à la science et tu demanderas qu’on prélève l’os de ton front, plus précisément la partie située au-dessus du nez, à 33 millimètres en-dessus du milieu de l’axe reliant tes deux pupilles.»
D’autre part, il est demandé aux Raëliens de faire un testament qui lègue leurs biens au guide des guides, c’est-à-dire au prophète Raël.
La «reconnaissance à la mort» consiste donc en la rédaction d’un testament renonçant à un enterrement religieux (c’est-à-dire chrétien) pour le remplacer par des célébrations conformes aux valeurs raëliennes, par un don financier conséquent (le mouvement est controversé pour cela) et par un acte conforme à leur croyance dans le clonage, c’est-à-dire le prélèvement de l’os frontal (environ un centimètre carré) pour permettre le clonage.
Il s’agit, pour les Raëliens, d’une reconnaissance des Elohim en tant que créateurs effectuée à travers la mort.
En effet, les Raëliens croient que ceux qui ont donné de l’amour dans leur vie seront clonés par les Elohim.
Il y aura une "reconstruction génétique" et un "transfert de mémoire", donc la personne vivra à l’identique.
C’est cela la vie éternelle dans le mouvement raëlien.
Ce rite est un écho de la "reconnaissance à la vie" - le baptême raëlien si l’on peut dire - qui permettrait de transmettre le plan cellulaire du raëlien à l’ordinateur de ses créateurs.
Lors de ce rite d’entrée dans la communauté raëlienne, et là je cite une communication du secrétariat du mouvement raëlien suisse au Centre Intercantonal d’information sur les Croyances:
«Le plan cellulaire, ou code génétique, de chaque individu est enregistré sur l'immense ordinateur qui comptabilise toutes nos actions durant notre vie, dès notre conception, moment où il y a création d'un nouveau code génétique, donc d'un nouvel individu.
Celui-ci sera ensuite suivi durant toute son existence et noté à la fin de sa vie en fonction du comportement qu'il aura eu pour savoir s'il aura droit à la vie éternelle sur la planète où les Elohim acceptent parmi eux les hommes les plus conscients.»
Fait particulier, je l’ai déjà dit, les Raëliens forment le seul groupe de notre échantillon à croire à une forme de résurrection de la chair.
Mais, ce n’est évidemment pas le Dieu des chrétiens qui permet cette résurrection, mais c’est le clonage par les Elohim.
Avec le mouvement raëlien, nous observons donc une logique d’opposition, voire de provocation par rapport au rite funéraire dominant, catholique en l’occurrence, puisque le fondateur est d’origine française.
Mais, fait intéressant, en prenant le contre-pied de l’église catholique, les Raëliens conservent néanmoins certaines caractéristiques doctrinales telle la croyance en une forme de résurrection des corps. Je dis une «forme de» car, bien entendu, le corps cloné du mouvement raëlien est bien éloigné du corps glorieux.
Mais il est vrai que le rite funéraire, si on l’entend comme cérémonie, est peu valorisé, il est même carrément optionnel.

Conclusion

A travers ce parcours, nous avons pu constater la grande diversité des croyances et des rites funéraires - ce qui rend la synthèse difficile.
En effet, certains rites funéraires ressemblent à une cérémonie des derniers adieux (un moment lors duquel les croyances du groupe relatives à la mort sont exprimées et quelques mots d’hommage aux défunts et de réconfort sont prodigués);
Nous avons également vu les éléments de rites impliquant les ancêtres, les honorant, les guidant dans l’après-mort, et leur demandant assistance, comme dans le cas de Sukyo Mahikari, par exemple;
Il existe également des rites qui font partie de la gestion du deuil ou relevant de la préparation mentale à la mort.
Mais il existe peu de rites organisés autour de la dépouille du mort, ou proches du moment de la mort.
Ceci s’explique probablement par le fait que la plupart de ces rites ont été créés dans un contexte urbain de l’après-guerre et que la mort se vit désormais à l’hôpital.
En cela, les membres des nouveaux mouvements religieux ne sont pas différents de leurs contemporains.
Néanmoins, même si ces moments ne sont pas institutionnalisés par la communauté, celle-ci se rend à l’hôpital au chevet des malades et des rites discrets y prennent place : prières, envoi d’énergie, etc. C’est quelque chose que nous avons entendu dans nos interviews.
Mais reprenons notre question de départ : est-ce que l’on peut partager les symboles lorsque l’on fait partie d’un nouveau mouvement religieux et que les autres membres de la famille ne partagent pas les croyances?
En effet, le décès est un événement que le nouveau mouvement religieux partage avec les autres communautés d’appartenance du défunt.
Donc non seulement la famille, mais les amis, les collègues, etc.
Si l’un des buts visés par le rite est de souder la communauté par le partage des symboles et un langage religieux commun, comment cela peut-il s’accomplir lorsque l’on assiste à un tel éclatement des appartenances ?
Comment les membres des nouveaux mouvements religieux gèrent-ils le pluralisme religieux au sein des familles ? Comment concilier sa propre manière de faire des rites (si par exemple on est mahikariste) avec celle de sa famille, disons, protestante vaudoise ?
Soit, comment faire communauté avec un tel patchwork religieux?
Nous ne pouvons que faire quelques observations et quelques hypothèses.
Il semblerait que cela soit difficile de ne célébrer qu’un seul rite funéraire dans ces circonstances (un rite, par exemple, des nouveaux mouvements religieux).
Car ces rites, alternatifs, ne peuvent que dans certaines conditions être considérés comme adéquats, en tant que rite public.
Il arrive par exemple, lorsqu’un rite public est célébré à la manière du nouveau mouvement religieux, qu’une partie du public quitte le lieu, se lève, parte, ou refuse de participer à certaines activités.
Nous avons vu dans le cas des libres penseurs que c’était le cas, et la ministre scientologue nous a également fait mention d’un office funèbre célébré dans une chapelle funéraire lors duquel les personnes sont parties en apprenant que le défunt était scientologue.
Dans certains cas, on peut observer un seul rite, surtout lorsque le conjoint du défunt donne son accord. Des cas de syncrétismes rituels peuvent même avoir lieu.
Par exemple, une prière scientologue peut être lue lors d’un culte réformé.
En effet, le scientologue peut garder sa religion d’origine.
Plus souvent, le nouveau mouvement religieux s’insère dans des interstices du rite principal : par exemple, le moment de l’inhumation ou de la dispersion des cendres dans un contexte réformé peut se révéler un moment privilégié pour introduire de nouveaux symboles et personnaliser davantage le rite; le texte scientologue de l’office funèbre a par exemple été lu une fois au moment de la mise en terre par la ministre que nous avons interviewée.
Plus problématique est le cas où l’endeuillé (et non le défunt) fait partie d’un nouveau mouvement religieux et celui-ci estimera que sa souffrance n’est pas prise en compte de manière adéquate par le rite public relevant d’une religion majoritaire.
Dans ce cas, il n’a d’autre solution que de célébrer un rite funéraire sans dépouille avec sa communauté d’appartenance et sans sa famille. Il s’agit d’un second rite pour le défunt.
C’est le cas du rite scientologue dont nous avons parlé.
A cet égard, il est significatif que lors du rite scientologue auquel nous avons assisté, un seul membre de la famille de l’endeuillé scientologue soit venu.
Il s’agissait également d’une personne membre d’un groupe minoritaire, les Témoins de Jéhovah. Alors même que les croyances sont incompatibles.
Cette personne s’est sentie intéressée par ce rite secondaire.
Nous appelons cette tendance qui voit les morts soumis à des rites qui leur étaient étrangers de leur vivant le «baptême des morts».
C’est une expression que nous empruntons à l’Eglise des saints des derniers jours ou «Mormons».
En effet, ces derniers pratiquent le baptême des morts, ils sont connus pour leur recherches généalogiques, et ils disposent d’ un rite, distinct de leur rite funéraire, lors duquel les ancêtres retrouvés par ces recherches généalogiques sont baptisés dans la foi mormone.
Les membres des nouveaux mouvements religieux, un peu à l’instar des mormons, en honorant leurs morts lors des rites funèbres, les incluent de facto dans leur communauté - malgré eux, est-on tenté de dire.
Les défunts sont convertis lors du processus de deuil des descendants, et sont baptisés réellement ou inclus symboliquement comme adhérents post mortem.
En effet, il semblerait qu’il soit nécessaire, pour l’endeuillé, d’inclure le mort dans les croyances qui font sens pour lui et de lui offrir, par ce biais, un au-delà acceptable.
References