Je travaille depuis 15 ans dans un EMS en psychogériatrie en tant qu’animatrice, et j’ai suivi une formation d’accompagnement en fin de vie et un diplôme européen d’études cliniques sur le deuil et l’accompagnement des personnes endeuillées.
S’est posée assez rapidement, pour moi, la question de comment réduire l’espace entre les cours théoriques et la pratique au quotidien en établissement psychogériatrique. Je vous propose donc de partager ces réflexions.
En ce qui concerne la situation d’une entrée de quelqu’un en EMS, le cumul des deuils de toute une vie et leur succession, lié à l’âge avancé, aboutit à un deuil supplémentaire.
Il est rarement considéré comme tel ; c’est celui d’un placement définitif en EMS : il faut faire le deuil de son chez soi, de son indépendance, de son intimité et de tout ce qui appartenait à avant.
Très souvent une pancarte de bienvenue est affichée sur la porte de la nouvelle chambre, elle fait seule office de lien de transition et l’évènement, le bouleversement d’une entrée en EMS n’est que trop rarement associé à un deuil.
Et pourtant, se retrouver à deux dans une chambre, quitter son foyer, ses habitudes, ses proches, ses souvenirs, et sa sécurité amoindrit la résistance psychique et physique. Cela favorise un sentiment de rejet, de solitude et de tristesse, voir même emmène jusqu’à la dépression.
Se retrouver en situation de sur-stimulation dans des activités quotidiennes rarement adaptées à une période de deuil et de séparation est stressant. Cela entraîne une précipitation psychologique qui n’est pas favorable à la prise en compte réelle de la situation vécue.
L’écoute, la validation, et l’accompagnement à l’heure d’aujourd’hui où la récession économique réduit les postes de travail dans le milieu médico-social, où « le faire » et les soins se justifient plus facilement financièrement que « l’être ».
Tout augmente la difficulté d’accompagner et de donner l’attention que requiert une personne déficiente intellectuellement en deuil. Nous pouvons donc parler là de deuils sans mort. Ce sont les plus fréquents de toute existence.
Tous les grands moments de la vie humaine, naissance, adolescence, mariage, chômage, divorce, retraite, ou entrée en EMS et mort sont marqués par des rites pour assurer le passage d’un état à un autre.
Ces rites expriment de premier abord l’appartenance de la personne à un ou à des groupes, religieux, familiaux, sociaux, professionnels, politiques ou autres.
D’emblée nous nous heurtons à une question sémantique qui recouvre une vraie et grande question de fond :
Peut-on parler de deuil lorsqu’il n’y pas mort ?
Les avis sont partagés et divergent. Traditionnellement, jusqu’à ces derniers temps le mot deuil était toujours associé à la mort. Mais à la suite de Freud, qui dans sa définition personnelle n’emploie pas le mot mort mais celui de perte, l’intérêt et l’attention se sont portés alors sur le retentissement intérieur de la perte.
Toute perte significative, tout renoncement important requiert une intégration psychique, un travail intérieur, une élaboration mentale qui s’apparente au travail de deuil que la mort d’un proche nécessite.
Le déroulement des réactions et des comportements est le même : le choc, la dépression, et le rétablissement dont la durée et la profondeur sont liés à l’importance de la perte.
Nous nous rendons compte dès lors qu’une entrée en EMS favorise déjà et augmente les facteurs de risque liés à l’âge, à la maladie, et à la fragilité psychique.
Il est évident que tous ces facteurs de risque peuvent s’additionner chez une même et seule personne et donc que l’éventualité de complications ou d’aggravation des pathologies n’est pas négligeable. Ceci résume les difficultés possibles dès l’arrivée en EMS.
Une toute première interrogation s’est posée pour moi à mon engagement, alors que la mort concerne finalement chaque employé d’une telle institution, de la femme de ménage, des soins, de la cuisine ou de l’animation, aucune question concernant l’aptitude à être confrontée à une fin de vie, à la mort ou au deuil ne m’a été posée.
Ce qui implique que chacun navigue à vue et s’adapte aux situations en fonction de son propre vécu et de sa relation personnelle et émotionnelle à l’approche de la mort et du deuil.
C’est en partant de ce constat qu’à germé en moi une réflexion : Où ? Comment ? Et avec qui partager, lorsque la mort survient en EMS ?
J’ai donc imaginé la création d’un espace deuil dans ce milieu. Nous parlons donc ici d’une population souffrant de pathologies diverses, telle que la maladie d’Alzheimer.
La maladie d'Alzheimer - et autres démences liées à l'âge
Cette maladie a été découverte en 1906 et doit son nom au médecin qui l’a découverte.
C’est une maladie chronique de plus en plus fréquente parmi la population. Elle affecte principalement la mémoire et les facultés mentales en général.
La maladie évolue de façon progressive et de manière irréversible, due à une dégénérescence du tissu cérébral pour aboutir à un état de démence.
Cette dégénérescence a un effet sur la mémoire et sur d’autres fonctions, telles que le langage, la concentration, le raisonnement, les facultés d’organiser des gestes et de reconnaître le monde, les capacités d’associer ses pensées et ses actes en fonction de buts précis.
On peut relever ici qu’avec le vieillissement de la population en Occident, la maladie va concerner toujours plus de monde, et poser de réels problèmes financiers, médicaux et sociaux.
En Suisse, selon l’association Alzheimer Suisse, 100'000 personnes souffrent de dégénérescence progressive et inéluctable du cerveau dont la forme la plus fréquente est la maladie d’Alzheimer.
En France il y’a en a 860'000 et aux Etats-Unis 4'500'000.
Les autres formes de démences liées à l’âge dans cette institution sont :
La démence sémantique, autre forme de la maladie d’Alzheimer qui touche en priorité le cerveau gauche et affecte donc la parole, le sens des mots, le langage, la réflexion.
La personne atteinte semble se vider de ses connaissances, et il lui est très difficile de communiquer ; et le corps physique, lui, semble protégé plus longtemps.
La démence vasculaire, c’est l’altération des fonctions cognitives sur la base de lésions vasculaires du cerveau, l’artériosclérose, et des micro embolies artérielles.
La maladie de Parkinson, c’est la diminution des facultés intellectuelles avec un ralentissement psychomoteur et des troubles de l’élocution.
Au jour d’aujourd’hui, de plus en plus fréquemment arrivent des couples en établissements médico-sociaux.
Lors du début de mes cours, cinq couples résidaient dans cette institution, à ce jour, il n’y en a plus, et deux conjoints de ces couples y résident encore.
Je me propose de partager avec vous le vécu d’un de ces couples. Cette histoire de fin de vie, de mort et de deuil, m’a amenée à des questionnements et des réflexions sur le rôle de chacun face au deuil en établissements médico-sociaux.
Première situation
Première situation : M. et Mme X . entrent à l’EMS le 16 février 2007.
Madame est dans l'unité de courts séjours et Monsieur entre dans une maisonnée de longs séjours.
Madame a un cancer en phase terminale diagnostiqué et Monsieur lui est atteint de démence de type Alzheimer. Ils ne sont donc pas ensemble, mais passent la plupart du temps installés dans un salon côte à côte.
Ils participent aux activités et à l’animation, reçoivent régulièrement la visite de leurs enfants, sortent fréquemment avec eux à l’extérieur.
Madame est d'un caractère introverti et peu démonstrative affectivement. Elle s'agace assez vite de la détérioration de l'état de confusion de son mari.
Elle s'énerve lorsqu'il ne comprend pas, mais se sent responsable, va surveiller s'il déjeûne bien, s’il est habillé correctement, et le raccompagne souvent dans sa maisonnée.
Monsieur, lui, semble souvent gêné des réprobations fréquentes de Madame qui le laissent souvent dans une situation d’échec.
Le couple aurait dû passer une semaine de vacances ensemble avec d'autres résidents à la montagne, mais la santé de Madame ne l'a pas permis.
La question de la séparation du couple alors que Madame est en fin de vie, a été le premier sujet difficile. Les avis de chacun divergeaient quand à cette séparation:
D’un côté la peur de certains soignants que Madame décède alors que Monsieur était absent, l'importance de la présence de Monsieur au moment de la mort de Madame, la confusion de Monsieur quant à un éloignement alors qu'il montrait clairement des signes d'inquiétude pour la santé de son épouse, et le rejet fréquent de Madame lorsqu'elle souffrait et ne désirait pas voir son mari.
Le pour et le contre ont été débattus. C’est là qu’est clairement ressorti le vécu de chacun face à la mort, ses propres expériences, ses inquiétudes et ses positionnements.
Dans cette discussion sur la future mort d’un résident et comment accompagner son conjoint dans un milieu institutionnel, le manque de fil rouge, d’objectifs communs, voire de consignes institutionnelles ont cruellement fait défaut.
Elle a laissé certains soignants dans la frustration d’une situation à laquelle ils n’adhéraient pas.
Il semblait évident que le côté décisionnel : « soin » (infirmières et médecins) a prédominé sur le « ressenti » (aides et soignants).
Le ressenti est personnel dans un domaine où chacun navigue à vue avec ses émotions et ses propres vécus. Nous avons débattu longuement.
M. Hanus, qui est psychiatre, dans son livre : « les deuils dans la vie » exprime très clairement qu’il y a un équilibre à trouver entre le professionnel et le simplement humain, qui est nécessairement impliqué à ce moment crucial de l’existence. Cette évidence était réalité.
Il a été décidé que Monsieur participerait aux vacances et que nous téléphonerions quotidiennement pour prendre des nouvelles de son épouse et réadapter la situation, voire même le retour de Monsieur à la Fondation si nécessaire.
Monsieur a eu quelques problèmes d'adaptation à son nouveau lieu de vie, une première nuit agitée, mais a pu profiter du cadre mis en place et a été rassuré par nos téléphones quotidiens à son épouse.
Madame a été également rassurée par les nouvelles de son époux, malgré sa santé qui se dégradait de jour en jour.
Après son retour, Monsieur a passé ses journées dans l'unité de sa femme, a déambulé en permanence, a passé des petits moments au chevet d’elle ; Monsieur était inquiet et a réussi, à plusieurs reprises, à le verbaliser.
Nous validions systématiquement sa tristesse et ses inquiétudes.
Pendant ses visites en toute fin de vie de Madame, Monsieur était toujours accompagné d'une soignante qui, selon les circonstances, reformulait à Monsieur ce qui se passait.
Monsieur a pu dire au revoir à son épouse et Madame est décédée paisiblement.
Après discussion avec les enfants du couple, nous leur avons proposé d'accompagner Monsieur à l'enterrement, d’attendre avec lui la cérémonie afin de les soulager, et d'aller voir son épouse une dernière fois avant la fermeture du cercueil.
Nous avions du temps avant la cérémonie et j'ai emmené Monsieur visiter le cimetière car il ne semblait absolument pas réaliser ce qu'il se passait.
Je me suis arrêtée devant la tombe de ma grand-maman et lui ai expliqué qui elle avait été pour moi et qu'elle était là maintenant après sa mort. Monsieur m'a regardée, caressé la joue et m’a dit: « Ma pauvre… »
Dans la chambre funéraire, Monsieur X. ne semblait pas comprendre ce qu'il faisait là. Sa fille lui a dit que sa femme était partie. J'ai reformulé que Madame était morte et qu'il pouvait lui dire une dernière fois adieu. Monsieur a pleuré quelques instants.
Son attitude à l'enterrement était touchante mais inadaptée socialement à la situation car Monsieur saluait avec grands sourires et effusions des gens non revus depuis longtemps, ne réalisant pas la tristesse de chacun et l’émotion de l’instant. La gêne était palpable.
Les jours suivant l'enterrement, Monsieur déambulait dans la Fondation, retournait sans cesse dans la maisonnée de sa femme, triste, semblant la chercher. Monsieur a été capable à plusieurs reprises de formuler sa tristesse.
Il a été remis à Monsieur des photos plastifiées de sa jeunesse, de son épouse ; Monsieur les gardait en permanence sur lui et les regardait fréquemment.
Monsieur avait deux attitudes très démarquées : si vous le saluiez joyeusement et avec le sourire, Monsieur répondait de même ; mais si vous lui demandiez comment il se portait avec une intonation plus grave et empathique, Monsieur disait « difficile », ou « dur », avec des mimiques lasses et expressives quant à sa tristesse. Comme si notre attitude pouvait lui laissait de la place émotionnellement face à un effet miroir.
Son état physique s’est très vite dégradé, Monsieur ne comprenait plus les consignes simples des activités quotidiennes, avait de plus en plus de peine avec le langage et ne semblait plus prendre plaisir à rien.
Ses enfants, qui vivaient leur propre deuil, étaient touchés en plus de voir leur papa dans cet état. Son attitude lors des visites était presque détachée.
Il ne semblait pas se rappeler du décès de sa femme aux yeux de ses enfants, ce qui était déroutant pour eux.
Nous avons toujours essayé de faire un lien en leur rapportant toutes les attitudes de Monsieur face à sa tristesse.
Il y a eu aussi des rencontres avec les soignants, les enfants, le médecin, concernant le déclin rapide de l’état de santé de Monsieur ; moment de partage et de questionnements quant à quoi influait sur sa santé et sa dégradation.
L’évolution de la maladie ou la perte de son épouse et son travail de deuil, voire les deux…
Une année après le décès, il a été avec ses enfants sur la tombe de sa femme. Après explications des enfants et de ce qu’ils faisaient là, Monsieur a réagi en disant: « C’est dommage ».
Sur le chemin du retour, Monsieur donnait de violents coups de pieds aux pives se trouvant devant lui.
Actuellement, Monsieur ne tient plus une discussion cohérente, reste de très longs moments assis seul, s’endort à peine assis quelque part, souvent du petit déjeuner jusqu’au dîner à sa table, il n’arrive plus à participer aux animations de groupe, car là, se lève et part déambuler seul dans les couloirs.
Deuxième situation
Deuxième situation d’un couple : Mme B. a suivi et vu la souffrance de son mari les dernières semaines de sa vie en EMS, elle était angoissée et refusait de le voir ainsi.
Ses angoisses empêchaient Madame de dormir ; mais la nuit après son décès (le décès de son mari), Madame a bien dormi, n’a pas sonné une seule fois contrairement aux autres nuits.
Madame a commencé très vite à somatiser en se plaignant continuellement de douleurs. Madame criait beaucoup, mais n’a que peu exprimé ses émotions.
Madame parvenait lors de moments privilégiés, tels que pendant les massages, les massages des mains, à parler de ses souvenirs avec lui.
A la cérémonie du souvenir de son mari, elle a exprimé devant tout le monde qu’elle voulait mourir ; Madame n’avait plus de plaisir à grand-chose et préférait rester assise sur un fauteuil la plus grande partie du temps, et elle exprimait qu’elle attendait seulement de mourir.
Madame est décédée à peine deux mois après son mari.
Troisième situation
Troisième situation : Mme P. a été très présente lors de l’évolution de la fin de vie de son époux. Elle restait fréquemment auprès de lui, passait son temps à tenir la main de son époux. Et après son décès, Madame a beaucoup pleuré.
De part l’expression visible de sa tristesse (la seule de ces trois situations mentionnées), Madame a été très entourée, écoutée dans ses souvenirs, validée dans sa tristesse et ses émotions par toute personne la croisant en larmes.
Peu à peu, Madame a cessé de parler de son mari et est redevenue plus gaie par moments. Par contre elle a pris du poids, est devenue incontinente et elle a baissé dans sa santé, de manière générale, et dans son autonomie. Parfois elle cherche encore son mari.
C’est vers ses enfants actuellement qu’elle va pour reparler de son époux défunt. Sa santé ne cesse de se détérioirer.
Quatrième situation
Quatrième situation : Mme Z. a perdu son époux depuis plusieurs années, environ sept ans, donc avant son entrée en EMS, mais elle vivait séparée de lui avant le décès de Monsieur.
Mme Z. demande quotidiennement à toute personne qu’elle croise dans les couloirs où il se trouve et dit qu’elle doit rentrer chez eux pour lui faire à manger. Madame s’angoisse à ne pas le trouver et à ne plus savoir ce qu’elle fait dans cette maison sans lui.
Les réponses à ses questionnements répétitifs varient d’un soignant à l’autre, du temps à disposition pour lui répondre, de la patience de chacun quand nous croisons Madame pour la quinzième fois dans le couloir.
Mais si, dans la réponse, quelqu’un lui formule que son mari est décédé, Madame réagit comme si elle l’apprenait à l’instant, ne peut y croire et sanglote.
A ce stade de la réflexion, après le vécu de ces situations, j’ai commencé plusieurs recherches. Recherche sur ce qui existait déjà dans d’autres institutions.
J’ai participé et posé mes questions sur des forums d’associations telles qu’Alzheimer suisse ; je me suis longtemps trouvée sans repères. Les questionnements étaient nombreux, je ne savais pas par où commencer.
Il m’a été difficile de synthétiser toutes les informations reçues des différentes parties, telles que la famille, le personnel de l’institution, les médecins et les associations existantes.
A ce jour, je n’ai trouvé aucun ouvrage traitant du deuil chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
J’ai trouvé des ouvrages s’intéressant au deuil chez les déficients intellectuels ; mais un déficient intellectuel étant une personne avec un handicap mental, qui lui n’a donc aucune réalité de la mort, alors qu’une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer a déjà connu cette réalité, les émotions qui s'y rapportent et qui l’accompagnent lors de sa vie avant l’arrivée de la maladie.
Il ressort d’une étude britanique faite par un psychologue qu’il faut garder quatre principes de bases sur la façon de vivre le deuil pour les personnes déficientes intellectuellement.
1) Elles vivent les même phases de deuil que les personnes dites normales ; 2) Chacun vit son processus de deuil qui lui est propre et unique ; 3) Elles ont les mêmes droits de considération que toute autre personne en deuil ; 4) Et que les personnes avec des difficultés particulières ont besoin d’une aide spéciale pour faire le travail de deuil.
Toutefois, l’une des croyances les plus nuisibles encore couramment entretenue à l’égard de ces personnes, est que, non seulement elles ne comprennent rien du tout à ce qui se passe, mais qu’en plus au vu de leur manque de réaction, elles n’en sont pas du tout affectées !
Si cette croyance n’est pas mise en doute, elle ouvre tout grand la porte à la justification de ne pas les accompagner dans leur processus de deuil.
La peur et le tabou, tant des familles que des professionnels, tend à laisser croire que ces personnes iraient encore plus mal et ne pourraient supporter l’épreuve de la confrontation avec la mort si elle la vivaient pleinement, et qu’il serait préférable de les écarter et de leur éviter cette réalité.
Les recherches tendent à démontrer que la crainte des membres de la famille viendrait davantage du fait qu’ils projettent eux-mêmes leur propre fragilité, leurs craintes ou leurs difficultés à partager et à gérer eux-mêmes de tels moments d’intensité émotive.
Concernant le rôle spirituel, dont le curé et les pasteurs de la fondation ont partagé avec moi leur avis et leurs opinions personnelles, à savoir comment être face à une personne déficiente intellectuelle en deuil, et leurs difficultés de communication avec le personnel soignant.
Lors de moments privilégiés et d’apport spirituel, Il leur a été parfois reproché de trop parler du défunt avec l’endeuillé. Qu’après leur départ, l’endeuillé passait une mauvaise journée, sous entendue mauvaise, parce que triste et renfermée.
Ils se sont donc trouvé confrontés parfois à une équipe soignante qui recherche plus le bien-être physique, alors qu’ils essaient d’apporter un réconfort spirituel qui parfois peut emmener l’endeuillé dans une tristesse légitime, mais dérangeante.
L’absence de réactions émotives et leurs conséquences.
L’absence des réactions émotives et leurs conséquences.
Anne Dusart, qui est psychologue et sociologue qui a fait une recherche en 1997 qui dément cette croyance en une insensibilité intrinsèque à la mort. Elle propose trois hypothèses qui m’apparaissent fort intéressantes sur les causes possibles de cette absence de réaction.
Elle relève que c’est surtout chez les personnes atteintes de déficiences sévères que l’on a pu remarquer cette absence.
Premièrement, que l’effet des grandes institutions a un effet anesthésiant sur les résidents, car les manifestations d’émotions sont découragées et les relations interpersonnelles sont difficiles à maintenir.
Deuxièmement, qu’il y a un effet de sidération ou de choc à l’annonce d’un décès et que plus la personne est touchée émotionnellement, moins elle semble comprendre.
Troisièmement, que certaines personnes utilisent leur déficience intellectuelle comme mécanisme de défense contre l’insupportable.
Il me semble en outre important de devoir tenir compte de quelques autres pistes suggérées dans le milieu institutionnel.
Que certaines familles n’expriment que très peu leurs émotions ; que le personnel soignant n’utilise pas toujours un moyen de communication adéquat en fonction du handicap et qu’il faille compenser le sens des mots comme « mort » ou « décédé » en l’adaptant à chacun, plutôt que « parti », « s’en est allé », ou « endormi ».
Que le manque de la réalité de la mort est aussi du à une rupture avec l’isolement social, et qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune référence commune des soignants sur le comment faire ou le comment dire en fonction de la démence
On pourrait dire que les personnes déficientes intellectuelles vivent les mêmes pertes, les mêmes deuils que les personnes dites normales, mais qu’elles ont une détresse sans voix… !
Marielle Robitaille, une Canadienne, a écrit un ouvrage : « La peine des sans voix ».
L’accompagnement des déficients intellectuels en deuil, qui concerne donc la population handicapée mentale.
Dans ses écrits, la première réflexion qui s’impose est de comprendre comment une personne déficiente intellectuellement est capable de vivre un deuil.
Mme. Robitaille insiste sur le fait que l’obstacle majeur sur les difficultés de décodage des différentes étapes du deuil chez les déficients dépend de l’aptitude des accompagnants à saisir le langage des comportements, que plus le degré de déficience est important, et moins ces personnes ont de moyens pour communiquer leur vécu, leurs émotions et leurs besoins.
De là, l’impérieuse nécessité des intervenants à développer leurs facultés de décoder les comportements grâce à une formation adéquate, à une pratique intense et réfléchie ainsi qu’à une supervision soutenue.
Après la première phase de choc du deuil, il est naturel et sain que l’endeuillé manifeste quelques symptômes dépressifs.
Ceux-ci sont décrits dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM).
Pour établir ce diagnostique, des professionnels de la santé, médecins, psychologues, psychiatres, posent diverses questions à leurs patients qui à leurs tours les informent verbalement de leur état.
Or, compte tenu de l’incapacité de beaucoup de personnes présentant une déficience intellectuelle moyenne ou sévère à répondre verbalement, le diagnostique et statistique des troubles mentaux a été adapté pour les personnes ne possédant pas le langage verbal, il est basé plutôt sur des comportements correspondants.
Les différentes étapes du deuil
Les différentes étapes du deuil.
La littérature scientifique et professionnelle sur les étapes du deuil documentent les divers ressentis en période de deuil, les principaux étant : le chagrin, la colère, l’angoisse, et la culpabilité.
Il est important de souligner au vu de ce qui précède que ces sentiments ou émotions sont tout autant vécus par les personnes affectées de déficiences intellectuelles que les personnes dites normales.
Il est donc vital pour le personnel accompagnant de décrypter ces diverses émotions et phases en étant attentif au comportement particulier de chaque personne déficiente.
Le chagrin d’abord.
Dans l’ouvrage sur le deuil de Marie-Frédérique Bacqué et Michel Hanus, il est relevé l’importance de l’expression du chagrin où des larmes comme expression de tristesse peuvent être une décharge motrice et somatique de la tension.
L’état de dépression qui en découle, mais qui est incompressible, désignée comme dépression-état de départ mais qui emmène vers la dépression dynamique, qui elle, devient un moteur dans le travail de deuil. Rester dans la dépression-état laisse le sujet dans un deuil sans fin.
Alors, dès lors, comment imaginer, dans un cadre institutionnel approprié, afin de laisser une place à cette phase de chagrin sans rester dans cette dépression-état pour les personnes présentant une déficience intellectuelle ?
Comment passer ou dépasser cette étape de chagrin sans mémoire, quand on sait que le rappel de tous les souvenirs partagés avec le défunt, que la prise de conscience réelle de la perte de l’être cher et que l’intégration de la mort dans une réalité sont essentiels pour nous emmener dans la phase suivante du deuil ?
La colère peut accompagner les premiers moments du deuil, emmenée souvent par un sentiment d’abandon, ou de perte.
Alors, quand seul le travail de la pensée et de la remémorisation permet d’abandonner les comportements de colère au profit du travail de deuil, comment dépasser ce stade quand la mémoire et l’intellectualisation de la situation n’existent plus ?
L’angoisse. Lors d’un deuil, l’angoisse peut se manifester au travers de différents symptômes, gêne digestive, sueurs, palpitations, gorge serrée… Ces symptômes disparaissent habituellement quelques semaines après la perte.
Les personnes présentant une déficience intellectuelle peuvent manifester leur angoisse à travers des comportements d’agitation psychomotrice, d’agressivité ou d’auto mutilation mais aussi d’autisme.
La culpabilité : Il paraît beaucoup plus délicat de définir chez une personne déficiente intellectuellement le sentiment de culpabilité qu’elle peut ressentir.
Si avant le décès, le déficient avait un comportement agité ou colérique et à qui on reprochait fréquemment ce comportement inadapté, il se peut qu’il puisse se sentir coupable, voire responsable de la disparition du défunt sans vraiment savoir pourquoi.
Au vu de toutes ces émotions que chacun peut ressentir dans les différentes phases du deuil, comment ne pas se poser la question :
Est-ce qu’une personne déficiente intellectuellement ne commence pas son deuil directement en deuil compliqué ? voire en deuil non reconnu ?
Le deuil compliqué. Le deuil compliqué, c’est quand la personne tombe malade, quand il n’y a pas d’évolution du travail de deuil, quand les troubles durent et perdurent, quand la personne reste bloquée dans une étape du deuil.
Le deuil compliqué c’est quand rien ne bouge, quand rien n’évolue, quand la vie est vécue entre parenthèses. Cela touche principalement les gens à compliquations psychologiques ou déjà fragiles.
Le deuil non reconnu, c’est le deuil qui touche principalement les personnes handicapées mentales où la réalité de la mort n’existe pas.
Comment soutenir et accompagner dans un cadre institutionnel des personnes déficientes intellectuelles en deuil ?
Comment soutenir et accompagner dans un cadre institutionnel des personnes déficientes intellectuelles en deuil ?
Tout d’abord reconnaître actuellement que les deuils des personnes déficientes intellectuelles font partie des deuils que l’on ne reconnaît pas.
Voire de deuils compliqués au vu de ce qui précède dans le chapitre de M. Hanus (dans la référence du grand livre de la mort à l’usage des vivants), le chapitre sur les différentes émotions dans le déroulement d’un deuil. Voire même on arrive à un deuil multiple…
En effet, être placé en psycho gériatrie dans un EMS ne fait en aucun cas partie d’un choix personnel ! Un premier deuil arrive donc, celui de son domicile, de son couple, de sa famille de son indépendance sociale physique et pathologique.
Dès lors comment pour le personnel soignant arriver à rester vigilant à l’observation des changements de comportement et de pouvoir les comprendre, les décoder, laisser la place pour les émotions, pouvoir valider, et pouvoir accompagner ?
Définir une personne de référence pour accompagner dans le deuil une personne déficiente intellectuellement pourrait permettre d’être soutenant durant les différentes étapes du deuil.
Donner une place suffisante aux rites funéraires.
Les rites devraient être adaptés à chaque situation.
En effet, un service funéraire ou une cérémonie du souvenir, cérémonie à l’interne qui réunit dans une institution les résidents et le personnel en souvenir du défunt, alors que l’enterrement est plus pour les amis et la famille, n’auront de sens que s’ils apportent un réconfort significatif et bénéfique.
Il est nécessaire d’adapter les textes religieux.
Plusieurs textes de la Parole biblique sur la mort et la résurrection peuvent être nourrissants, mais pas nécessairement accessibles aux personnes présentant une déficience intellectuelle.
Il est important aussi que les membres du clergé ou toute personne qui officie aux cérémonies, aussi bien funéraires que du souvenir, aient une sensibilité adéquate, sur la déficience intellectuelle du proche du défunt, et ne développent pas une attitude de pitié charitable, infantilisante, véritable offense à la dignité de ces personnes qui, en dépit de leurs limites n’en arrivent pas moins à saisir cette attitude méprisante à leur égard.
Propos qui blessent tout autant famille et amis qui ne les partagent pas.
Par conséquent, le choix du célébrant, des textes, la préparation du déroulement de la cérémonie, sont un facteur crucial qui peut déterminer le sens bénéfique pour le début du processus de deuil et donner un vrai sens à ce rite.
Une bougie allumée, ou un led au vu de la sécurité, une photo, une fleur déposée sur l’étage ou dans un endroit que le défunt fréquentait et à la vue de tous pourraient être envisagés de cas en cas.
Dans la deuxième phase du deuil, il est important de pouvoir passer régulièrement des moments privilégiés avec l’endeuillé.
Reformuler verbalement et souvent ce qu’il peut ressentir. S’appuyer sur des souvenirs, des albums photos, des objets ou tout ce qui peut aider à rappeler à l’endeuillé que ce qu’il ressent est lié aux évènements vécus.
Saisir au vol toute situation quotidienne qui permette une prise de conscience de la perte de l’être cher.
Parler, même sans avoir la certitude d’être entendu.
Suggérer des mots qui identifieront pour lui les sentiments qu’il ne peut formuler, mais qu’il exprime à travers son comportement.
Rester donc attentif aux signes aussi bien verbaux que non verbaux qui pourraient cacher des sentiments et émotions de deuil.
Faire une visite au cimetière, se rappeler les anniversaires du décès.
Pour pouvoir tendre vers cette perspective, il est indispensable de pouvoir avoir une conservation de la mémoire et des traces de vie d’un endeuillé avec une déficience intellectuelle, afin de garder le lien avec ce qui l’attachait au défunt, avec ce qui était sa vie avant.
Pour ce faire, une tenue des dossiers de soin devrait assurer que l’histoire de vie du résident en institution est la plus complète possible.
Le souci de la mettre à jour de façon périodique permettrait un accompagnement adequat lorsqu’un décès survient.
Souvent les dossiers de soins sont d’avantage axés sur le côté médical, plus que sur le vécu ou le ressenti.
Comment former et aider le personnel soignant?
Comment former et aider le personnel soignant ?
Toute personne travaillant en EMS avec des personnes âgées n’est pas forcément confortable et à l’aise pour aborder le sujet de la mort et le partager.
Par conséquent, il serait souhaitable que les soignants reçoivent une sensibilisation, un espace qui leur soit offert afin de discuter et d'échanger sur leurs propres attitudes et manières de gérer les pertes de quel ordre qu’elles soient.
Nous savons maintenant qu’un malaise ressenti par un soignant peut être un obstacle à la reconnaissance de la peine de l’endeuillé. Il est donc indispensable que les soignants soient conscients de leurs propres blocages.
Une sensibilisation doit être offerte à tout membre du personnel travaillant dans le milieu de personnes âgées déficientes intellectuelles, afin de comprendre ce que signifie le deuil pour eux et afin d’être sensibilisés à leurs limites et à leurs capacités dans cette situation.
Il est tout aussi important qu’un professionnel ayant eu une relation proche avec un résident décédé puisse également faire son propre deuil.
Il convient donc aussi que leurs besoins soient pris en considération, qu’ils puissent avoir une structure mise en place dans l’institution, structure qui disposerait de temps et de conseillers experts en ce domaine pour pouvoir se sentir supportés et écoutés.
Accompagner une personne (qu’elle soit déficiente intellectuelle ou non) dans un deuil est une expérience difficile. La mort nous positionne directement avec notre propre vulnérabilité. Notre propre fragilité est mise à nu.
Sans vouloir professionnaliser outre mesure l’accompagnement au deuil, il est important de pouvoir créer un espace soutenant qui recherche les réponses adéquates à chaque situation, et que les connaissances actuelles sur le sujet du deuil puissent être partagées et mises en pratique.
Au vu de toutes ces réflexions, on peut se rendre compte de tout ce qu’il reste à faire et à mettre en place dans le domaine du deuil et des personnes atteintes de la maladie de type Alzheimer.
J’ai juste envie de préciser que, dans l’institution dans laquelle je travaillais, le choix de mon mémoire a un peu forcé l’intérêt du sujet ; mais j’en suis restée plus au stade du questionnement et que la porte est grande ouverte pour s’y intéresser, que dans le côté de la pratique le temps manque et qu’il y a encore du travail.